Le Mans aime Ferrari

Jean-Claude Schertenleib | 20.06.2024

WEC Malgré l’immense performance de Sébastien Buemi, Ferrari a remporté pour la deuxième fois d’affilée les 24 Heures du Mans, qui ont viré au cauchemar météorologique.

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La Ferrari victorieuse de Fuoco/Molina/Nielsen devant le «Porsche Experience Center»: un symbole!

Le Mans, 15 juin 2024, à moins d’une heure du départ des 24 Heures. Jacky Ickx, six fois vainqueur, rappelle: «À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire», reprenant la formule de Corneille dans «Le Cid». Le Belge, 79 ans qu’il porte avec classe, connaît parfaitement cette course, qui promet un spectacle total: 9 constructeurs alignés dans la classe principale, des conditions météorologiques qu’on annonce compliquées et des antagonismes assumés. Toyota veut sa revanche contre Ferrari, Porsche rêve d’un vingtième triomphe, Cadillac sait que sa V-Series R a son mot à dire. Et BMW a surpris lors des essais. Comme le nouveau venu Alpine. Peugeot, enfin, est conscient que ce que le Lion a montré depuis son retour en Championnat du Monde d’Endurance, le WEC, n’est pas suffisant.

Ferrari, le stratège

Vingt-cinq heures plus tard, après une nuit cauchemardesque, après des retournements incessants de situation, la Ferrari N0 50 de Fuoco/Molina/Nielsen l’emporte devant la Toyota N0 7 de Lopez/Kobayashi/De Vries… partie 23e et dernière de la classe Hypercar. Porsche rate le podium pour 1’’167! Sébastien Buemi ne termine «que» cinquième, après ce qui a peut-être été, c’est le quadruple vainqueur qui le dit, son «meilleur Le Mans.» Comment en est-on arrivé là?

Une nouvelle fois – c’est souvent le cas dans ce WEC «nouvelle génération» –, il faudrait un livre pour le raconter. On se contentera de deux moments essentiels. Samedi, 17h35. Premières gouttes de pluie sur le circuit du Mans. Buemi, qui a gagné neuf places depuis le départ, passe par les stands pour monter des pneus adéquats, comme tous les autres favoris. Tous? Non. Chez Ferrari, après l’immense bourde stratégique d’Imola, on ne met pas tous ses œufs dans le même panier: si la voiture 51, lauréate douze mois plus tôt, choisit ce qui paraît être logique, la 50 et la troisième 499P, la jaune pilotée par Robert Kubica, continuent. C’est le bon choix. Buemi & Cie perdent près de 2 minutes. Tout est à refaire. Dans la nuit, c’est l’enfer, à un point tel que peu avant 4 heures du matin, la course est neutralisée derrière les voitures de sécurité (à 80 km/h) pour une période de très exactement 4h28: «Je n’ai rien vu, je dormais. Mais Brendon (Hartley, son équipier), m’a dit qu’il avait des crampes, qu’il ne voulait qu’une seule chose: sortir de la voiture», expliquera Buemi après la course. Quand ça repart enfin, peu après 8 h dimanche matin, c’est bien la Toyota N0 8 qui est en tête. Les faits de course, les «slow zones», se multiplient, parce que le ciel continue d’être taquin. Peu avant 11 h, après une énième période derrière la «safety car», les huit premiers – les trois Ferrari, les deux Toyota, la Cadillac N0 2 et deux des trois Porsche officielles – sont roues dans roues. Jamais on a vu cela, dans cette course où l’on a déjà tant vu.

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Sébastien Buemi en pleine attaque: le Vaudois a peut-être livré sa meilleure performance personnelle au Mans.

Dimanche, 13h47. La Toyota N0 7 est revenue de nulle part, celle de Buemi, alors pilotée par Hartley, reprend la deuxième place à la Ferrari 51… pas pour longtemps: Alessandro Pier Guidi contre immédiatement. «Contre»? Le terme ne pourrait être mieux trouvé: la Ferrari touche la Toyota qui se retrouve en tête-à-queue et va perdre de précieuses secondes. Alors qu’il s’apprête à relayer son équipier, Sébastien Buemi a compris: il ne sera pas (pas encore?) quintuple vainqueur du Mans. Pier Guidi va être pénalisé de 5 secondes, alors que les commissaires ont été beaucoup plus sévères durant cette course aux rebondissements multiples. Bref… La seconde Toyota, qui a connu moult soucis tout au long de la semaine, se retrouvera sur la deuxième marche du podium, entre deux Ferrari.

«On ne refait pas la course»

Invité dans les studios de la chaîne L’Équipe, Buemi se contient, parce qu’il est un grand professionnel: «Il nous touche. Brendon aurait peut-être pu plus fermer la porte, mais il nous touche. On ne refait pas la course. Les autres ont fait plus d’erreurs que nous, nous étions devant la seconde voiture de notre équipe qui ne finit pas loin du vainqueur. Ma réaction à ce moment-là? Simple, je réalise que c’est… foutu! Après, il y a des commissaires, qui font leur boulot et il y en a eu beaucoup. On travaille pendant des heures sur la piste pour creuser un écart de 20 à 30 secondes et on peut perdre 2 minutes d’un coup parce qu’au moment d’une «slow zone», on n’est pas au bon endroit. C’est peut-être un de mes plus beaux Le Mans en terme de pilotage et je termine cinquième, c’est aussi simple que cela.» Il aurait pu dire aussi cruel…

La cinquième… victoire attendra. À l’an prochain, même endroit, mêmes heures!

24 heures suisses

Sébastien Buemi: 5e. On ne choisit pas Le Mans, c’est le Mans qui vous choisit. Cette fois, la petite boule n’est pas tombée sur la Toyota N0 8.

Edoardo Mortara: 10e. Coup de chapeau à Lamborghini, qui amène ses deux SC63 à l’arrivée.

Nico Müller: 12e. Si elle avait créé momentanément la sensation il y a douze mois, la Peugeot 9X8 n’est pas plus compétitive, même avec son aileron arrière.

Romain Grosjean: 13e. Même remarque que pour Mortara. On a même vu les deux Lamborghini dans le top 6 à un moment de la nuit!

Louis Delétraz: 20e. Auteur du meilleur temps de l’Hyperpole en LMP2, le Genevois termine sixième de la catégorie et deuxième en LMP2 Pro Am.

Mathias Beche: 23e au scratch, 9e en LMP2 après avoir longtemps joué le podium.

Fabio Scherer: 25e place (11e LMP2) pour celui qui avait gagné la catégorie en 2023.

Rahel Frey: 32e. Les Iron Dames terminent cinquièmes en LMGT3, après avoir été sur le podium virtuel durant une bonne partie de la course.

Neel Jani (photo): 45e. Excellente à Spa-Francorchamps, la Porsche-Proton du Seelandais a connu une semaine infernale dès les tests du dimanche qui a précédé la course. Où la 963 a passé beaucoup de temps au stand.

Grégoire Saucy: Abandon. Boîte de vitesses, peu avant midi. Mais dans la nuit, le Jurassien a figuré en tête de la catégorie LMGT3. Chapeau, le p’tit nouveau!

Raffaele Marciello: Abandon. La BMW M Hybrid V8 du Zurichois a été envoyée dans les rails par la Ferrari de Kubica à 22h36, samedi soir.

Thomas Flohr: Abandon. Sortie de route à 18h10 dans la courbe Dunlop. Premier abandon officiel de cette édition 2024.

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Un nouvel âge d’or pour la classique mancelle

Vous vous souvenez des 24 Heures du Mans dans les années 1960, de ces éditions qui mettaient en concurrence les Ferrari aux Ford? Ou celles des années 1970, avec les Porsche 917? Ou celles de la fin des années 1980, qui engageaient des Sauber? Ou encore celles des années 2000, qui voyaient des prototypes Audi foncer dans les Hunaudières? Avec l’électrification et le désintérêt des constructeurs pour le sport automobile, on pensait cette époque révolue. Quelle erreur! la 92e édition de 2024, qui a suivi celle du centenaire, a sans aucun doute été l’une des plus folles de l’histoire de la classique mancelle. Face à 329 000 spectateurs (un nouveau record), 23 hypercars appartenant à neuf constructeurs se sont livré à une course qui s’apparente davantage à un sprint de 24 heures qu’à une épreuve d’endurance. Et en LMP2 ou en GT3, le spectacle n’était pas moins beau, notamment assuré par les Iron Dames, toujours dans l’ambiance.

Comment ne pas s’enflammer en assistant au duel déjà mythique que se sont livré la Porsche N° 6 de Kevin Estre et la Ferrari N° 51 d’Alessandro Pier Guidi? Difficile aussi de ne pas partager le désarroi et la déception de Sébastien Buemi lorsque cette même Ferrari N° 51, toujours pilotée par Pier Guidi, ôtait à la Toyota N° 7, alors pilotée par Brendon Hartley, toutes chances de victoire (lire texte principal). Et les larmes de colère de monter dans les yeux des téléspectateurs suisses. C’est sûr, malgré toutes les ombres qui règnent autour de la BoP, la fameuse «Balance of Performance», il faut lui reconnaître qu’elle sait y faire lorsqu’il s’agit de maintenir le suspense sur la piste, donc de laisser les spectateurs en haleine…

Mais aussi génial qu’ait été le spectacle en piste, Le Mans, c’est aussi une ambiance de fou en dehors, comme le démontre entre autres l’incroyable programmation musicale de l’évènement: Louise Attaque, Bigflo et Oli, Ofenback et Simple Minds. Le Mans, c’est aussi les campings, le village des constructeurs et les multiples échoppes de produits aux couleurs des marques. Et puis Le Mans, c’est encore un défilé de stars, de chanteurs, de pilotes de F1 et de patrons d’industrie. Ainsi, aux côtés de Gad Elmaleh et Vincent Cassel pouvait-on croiser Yannick Noah, Pierre Gasly, Esteban Ocon, Luca de Meo (Renault), Carlos Tavares (Stellantis) ou encore Wolfgang Porsche. Ah oui, et c’est le footballeur Zinédine Zidane qui a donné le départ. À n’en pas douter, il s’agit là d’un âge d’or! OD

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Résultats

24 Heures du Mans (F), 4e manche (sur 8) du Championnat du Monde d’Endurance: 1. (1ers Hypercars) A. Fuoco/M. Molina/N. Nielsen (I/E/DK), Ferrari 499P, 311 tours en 24h01’55’’856. 2. J. Lopez/K. Kobayashi/N. de Vries (ARG/J/NL), Toyota GR010 Hybrid, +14’’221. 3. A. Pier Guidi/J. Calado/A. Giovinazzi (I/GB/I), Ferrari 499P, +36’’730. 4. K. Estre/A. Lotterer/L. Vanthoor (F/D/B), Porsche 963, +37’’897. 5. Sébastien Buemi/B. Hartley/R. Hirakawa (CH/NZ/J), Toyota GR010 Hybrid, +1’02’’824. Puis: 10. M. Bortolotti/D. Kvyat/Edoardo Mortara (I/RUS/CH), Lamborghini SC63, +2 tours. 12. J.-E. Vergne/M. Jensen/Nico Müller (F/DK/CH), Peugeot 9X8, +2 tours. 13. Romain Grosjean/A. Caldarelli/M. Cairoli (CH/I/I), Lamborghini SC63, +2 tours. 15. (1ers LMP2) O. Jarvis/B. Garg/N. Siegel (GB/USA/USA), Oreca 07-Gibson, +14 tours. 20. (6es LMP2) P. Hyett/Louis Delétraz/A. Quinn (USA/CH/GB), Oreca 07-Gibson, +16 tours. 22. (8es LMP2) Matthias Kaiser/O. Caldwell/R. de Angelis (LIE/GB/CDN), Oreca 07-Gibson, +17 tours. 23. (9es LMP2) R. Sales/Mathias Beche/S. Huffaker (USA/CH/USA), Oreca 07-Gibson, +18 tours. 24. (10es LMP2) N. Rao/M. Bell/F. Vesti (USA/GB/DK), Cool Racing-Oreca 07-Gibson (CH), +20 tours. 25. (11es LMP2) Fabio Scherer/D. Heinemeier-Hansson/K. Simpson (CH/DK/USA), Oreca 07-Gibson, +20 tours. 26. (12es LMP2) L. Fluxa/M. Jakobsen/R. Miyata (E/DK/J), Cool Racing-Oreca 07-Gibson, +22 tours. 27. (1ers LMGT3) Y. Shahin/M. Schuring/R. Lietz (AUS/NL/A), Porsche 911 GT3 R, +30 tours. 32. (5es LMGT3) S. Bovy/M. Gatting/Rahel Frey (B/DK/CH), Lamborghini Huracan Evo 2, +32 tours. 35. (8es LMGT3) J. Laursen/C. Laursen/J. Taylor (DK/DK/USA), Spirit of Race-Ferrari 296 (CH), +32 tours. 45. (16es Hypercars) Neel Jani/H. Tincknell/J. Andlauer (CH/GB/F), Porsche 963, +60 tours. – Ont notamment abandonné: J. Cottingham/N. Costa/Grégoire Saucy (GB/BR/CH), McLaren 720S Evo (220e tour, boîte de vitesses); D. Vanthoor/Raffaele Marciello/M. Wittmann (B/CH/D), BMW M Hybrid V8 (102e, accident); Thomas Flohr/F. Castellacci/D. Rigon (CH/I/I), Ferrari 296 (30e, accident). – 62 voitures au départ, 46 classées.

Prochaine manche: 6 Heures de São Paulo (BR), 14 juillet 2024.

Photos: Ludovic Carnal

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