Quand l’avenir avait... de l’avenir!

Peter Ruch | 07.03.2024

Révolution Le développement de la Renault 5 a commencé au milieu des émeutes estudiantines de 1968. Et c’est peut-être bien pour cela que l’amour dure encore aujourd’hui.

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Les étudiants ont d’abord manifesté. Puis les ouvriers se sont mis en grève. Mai 1968, Paris, un printemps et un début d’été chauds. Des cadres de Renault, alors entreprise semi-publique, sont enfermés dans leurs bureaux par des syndicalistes. Le designer Michel Boué n’est pas concerné: son patron, Gaston Juchet, alors directeur du design de la marque, lui a laissé la liberté de travailler d’où il le souhaite. Boué imprime donc une photo grandeur nature d’une Renault 4, la place dans son atelier personnel et dessine les lignes entièrement nouvelles du projet 122, le nom de code de la future «5». Sa seconde esquisse est si aboutie que le chef du développement, Yves Georges, et surtout les membres du directoire Bernard Hanon et Pierre Dreyfus, qui dirigea Renault pendant 20 ans, ne peuvent que l’approuver.

Le Professeur

Ce sont surtout les applaudissements de Bernard Hanon qui seront les plus importants. Ancien professeur de marketing à l’université de New York, ce Français est de retour au pays en 1967, date à laquelle il reprend du service pour La Régie Nationale, autrement dit Renault. Il emporte dans ses bagages deux conclusions fondamentales. Premièrement, la prochaine génération d’acheteurs de voitures aura un penchant pour le non-conventionnel. Et deuxièmement, la société est à la veille d’un bouleversement. Les révoltes étudiantes de 1968 vont lui donner raison, en plus de porter un coup de fouet à son projet 122. Mais comment est-elle née, cette R5? Retour sur la genèse d’un véhicule aussi iconique que sympathique.

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Les couleurs vives et sauvages étaient un signe distinctif de la Renault 5, dedans comme dehors. On ne voit plus que rarement des R5 sur nos routes: plus de neuf millions d’exemplaires ont certes été produits, mais la rouille fut finalement la plus forte.

Plutôt que d’écouter les ingénieurs comme il était d’usage de la faire à l’époque, Bernard Hanon avait sondé les clients, et plus particulièrement les clientes, entendant leurs desideratas avant d’établir un cahier des charges. Hanon mandatait ensuite Michel Boué au design. Celui-ci dessinera une œuvre ingénieuse. Le style de la R5 est en effet exceptionnel. Elle est non seulement l’une des premières voitures à être dénuée de pare-chocs classiques, mais en plus ses feux arrière sont disposés de manière originale. Certes, ce n’est pas la première fois que des feux arrière sont montés sur les montants C, mais le tout est particulièrement élégant. Le hayon de la «5» peut être abaissé plus bas et plus largement que celui de la «16» afin de faciliter le chargement et déchargement. Et à l’extérieur comme à l’intérieur, les couleurs sont fraîches.

Même avec des freins à disque

Sur le plan technique, les Français n’ont en revanche pas fait de gros efforts, la «5» se basant sur les spécifications de la «4» déjà âgée et de la «6» plus moderne. Cela signifie tout de même une suspension à roues indépendantes avec des barres de torsion. Des solutions techniques dont les petites allemandes ne pouvaient pas se targuer. Sous le capot, on trouve en France un 4-cylindres de 0,8 litre de 34 ch, tandis qu’en Suisse, on utilise un groupe plus moderne avec une cylindrée un peu plus élevée (36 ch). Il y a aussi le moteur 5 TL (environ un litre, pour 44 ch) qui permet à cette petite voiture de 775 kg d’atteindre une vitesse maxi de 137 km/h. On trouve des freins à disque à l’avant.

Mais il y a mieux, car Alpine appartient déjà au groupe Renault à l’époque. C’est pourquoi une R5 portant l’inscription Alpine va suivre. Elle arrive sur le marché en 1975 et, avec ses 93 ch, elle est un peu le précurseur des petites GTI. Elle ne pèse que 840 kg, passe de 0 à 100 km/h en moins de dix secondes et peut atteindre plus de 170 km/h, des performances au top au milieu des années 1970. Le passage des vitesses se fait sur cinq rapports... du moins lorsqu’on on les trouve, le passage de la deuxième à la troisième vitesse passant en quelque sorte par un détour; on y perd en tout cas un temps précieux, comme nous avons pu le constater lors d’une récente sortie. Autrement, point de gros défaut à constater: la R5 Alpine est une traction pure jus qui souvire quelque peu lorsqu’on entre un peu trop vite dans un virage; mais qui tire sans problème le pilote hors dudit virage s’il a le courage de garder son pied appuyé sur l’accélérateur.

L’art de vivre à la française

Ah, que demander d’autre que de se replonger dans le passé? Les sièges sont en velours profond, ils offrent un bon maintien latéral puisqu’on s’y enfonce goulûment. Le plastique dur est omniprésent. Dans les années 1970, il était considéré comme une solution, mais en réalité... il ne l’était pas. Devant le conducteur se trouve un tableau de bord, lui aussi fait de polymères, celui dans lequel ont été fabriqués des millions d’horloges. À gauche, autour du volant se trouvent quelques interrupteurs et des leviers. Les clignotants et les feux sont si proches qu’on les actionne généralement en même temps. Le levier de vitesses est long et si éloigné qu’on ne peut presque plus le saisir: l’ergonomie était une notion encore inconnue à l’époque.

La R5 Alpine se conduit bien. Le 4-cylindres ronronne gentiment au démarrage et à partir de 4000 tr/min, il devient bruyant, bien que l’auto, elle, ne soit pas rapide. De manière générale, toute la carrosserie vibre et la petite citadine consomme probablement aussi beaucoup trop par rapport à sa puissance. Mais qui en avait cure à l’époque? La fenêtre baissée, la radio éteinte, nous profitons d’un paysage français en roulant à des vitesses acceptables. L’art de vivre à la française, en quelque sorte. Et on apprécie. On comprend aussi pourquoi la R5 a connu un tel succès dans le monde entier: elle représentait la légèreté insouciante d’une époque où personne ne parlait encore de changement climatique et où l’avenir était encore à venir. On comprend bien que Renault fasse aujourd’hui revivre la R5 comme véhicule purement électrique. Peut-être qu’elle apportera à nouveau cette joie de vivre sur la route, cette fois sans bruit.

Plus de neuf millions d’exemplaires

La R5 a rencontré un énorme succès; près de 5,5 millions d’exemplaires ont été vendus jusqu’en 1984. La firme au losange a alors demandé à l’Italien Marcello Gandini, qui avait entre autres dessiné la Lamborghini Miura, de rafraîchir le design. C’est ainsi qu’est née la Supercinq, dont 3,5 millions d’exemplaires ont encore été vendus jusqu’en 1994. Il y eut des intermèdes, comme la Turbo à moteur central, qui remporta de nombreuses victoires en rallye, ce qui ne fit que rendre la légende française encore plus célèbre. La seule chose étonnante? Le peu de R5 que l’on voit encore aujourd’hui sur les routes. 

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93 chevaux pour un peu plus de 800 kg. Au milieu des années 1970, c’était alléchant. Et le plaisir de conduire était bien réel.

Photos: Renault, radical-mag.com

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