Interview avec Marcus Breitschwerdt: «Les contrefaçons sont un crime»

Olivier Derard | 08.07.2025

Dans une interview accordée à la RA, le Directeur de Mercedes-Benz Heritage, Marcus Breitschwerdt, revient sans langue de bois sur sa mission, sa vision pour l’avenir de la marque, ainsi que sur les récents scandales qui ont secoué Mercedes-Benz et le monde des véhicules de collection.

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Marcus Breitschwerdt

Après une carrière largement consacrée à Daimler AG (aujourd'hui devenu Mercedes-Benz Group), où il a occupé des postes clés, notamment à la tête de Mercedes-Benz Vans, Marcus Breitschwerdt aurait pu prendre sa retraite en 2022. Il a cependant choisi de poursuivre son engagement au sein du conglomérat en devenant responsable de la division Heritage. Ce poste stratégique permet désormais au département Classics d'avoir une personne siégeant au conseil d’administration — une première dans l’histoire de la marque qui illustre l’importance croissante accordée par Mercedes-Benz à la préservation de son patrimoine. Interviewé par la Revue Automobile, l'homme revient sur ses objectifs, sa vision pour le futur de Mercedes-Benz Heritage ainsi que sur les récentes polémiques qui ont secoué le géant allemand et le monde des véhicules de collection en général.

Revue Automobile: Depuis 2022, vous êtes responsable de l'ensemble du département Mercedes-Benz Heritage, y compris le musée. En quoi consiste votre travail?

Marcus Breitschwerdt: Eh bien, il consiste à gérer tout ce qui touche au cœur et à l'héritage de la marque. Pour cela, nous disposons d'atouts tels que notre collection de voitures anciennes, le musée, les événements, le centre classique de restauration, nos activités de commerce de vieilles automobiles ainsi que la vente de pièces détachées de toutes les voitures dont la production s'est arrêtée il y a plus de 15 ans. Mais tout cela sert en réalité à ancrer la marque, à préserver son essence et à veiller à ce qu'elle ne se dilue pas ou ne s'éloigne pas de son cœur. Tel est l'objectif stratégique de l'ensemble de la division "Heritage".

Vous faites donc partie intégrante de l'"entreprise" Mercedes-Benz?

C'est une division à part entière, comme AMG ou la division utilitaires. Cela signifie que mon supérieur hiérarchique est le PDG de Mercedes-Benz Group AG, Ola Källenius. Auparavant, nous faisions partie du département "marketing". Mais nous avons scindé le tout en différentes entités. Ainsi est née Mercedes-Benz Heritage GmbH. Je dirige cette société. Chez Mercedes-Benz Heritage, nous sommes responsables de notre propre budget. Cela signifie que je suis désormais autorisé à gagner de l'argent!

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Le rédacteur Olivier Derard (à gauche) en conversation avec Marcus Breitschwerdt (à droite)

Est-il vraiment si facile de gagner de l'argent dans le secteur des voitures classiques? Il doit y avoir des coûts importants, comme le stockage des pièces de rechange, par exemple.

Il est vrai que nous gérons un vaste catalogue de pièces de rechange: plus de 160 000 articles. Nous assurons la gestion mondiale des pièces de rechange pour toutes les voitures 15 ans après l'arrêt de leur production. D'un autre côté, si vous fournissez une qualité irréprochable, les gens sont prêts à y mettre le prix. C'est là tout l'intérêt. Nous nous engageons donc à établir des normes sur le marché que personne ne peut enfreindre. Il est important pour nous de créer une norme qui va au-delà de tout compromis. C'est très important. Et ensuite, vous gagnez votre argent de manière équitable. Car cela signifie également que ce que vous créez vaut vraiment son prix et prendra de la valeur.

En ce qui concerne les pièces détachées, comment cela fonctionne-t-il?

Nous disposons d'un stock d'origine. Et lorsque des pièces stratégiques ne sont plus disponibles, nous décidons de relancer la production en tant que pièces d'origine neuves. Si vous êtes un client d'une ancienne Mercedes, vous vous rendez chez votre concessionnaire Mercedes-Benz, l'un des 3000 concessionnaires dans le monde, vous commandez votre pièce classique, et ils l'achètent à Mercedes-Benz et vous la livrent. Ces pièces proviennent souvent des fournisseurs d'origine. Elles sont conformes à nos spécifications, que nous définissons. Notez que toutes ces pièces sont contrôlées avant la vente. C'est comme pour les voitures neuves.

Combien d'employés compte votre département classique?

Environ 250 emplois directs.

De combien de voitures classiques êtes-vous responsable chez Mercedes Heritage?

Dans le musée, nous exposons 160 voitures, et nous avons environ 1200 voitures au sein de notre collection, qui ne cesse de s'agrandir. Nous conservons au moins un exemplaire de chaque modèle après l'arrêt de la production, afin de pouvoir exposer au moins un exemplaire de chaque modèle pertinent. La collection est stockée dans des lieux tenus secrets, des halls sans enseigne qui ont l'air plutôt délabrés de l'extérieur, pour des raisons de sécurité, bien sûr. C'est là que nous les maintenons en état de marche.

Toutes les voitures du musée sont-elles vraiment restaurées en interne?

Eh bien, nous disposons d'un réseau de partenaires. Mais nous avons également la capacité de couvrir toutes les étapes de la restauration. Dans la mesure du possible, en fonction de nos capacités, nous effectuons tout en interne. Comme je l'ai dit, nous avons également des partenaires certifiés et de confiance.

Restaurez-vous également des voitures pour des clients sur demande? Combien de voitures cela représente-t-il par an?

Ce nombre est en augmentation. Nous n'avons pas fait cela pendant longtemps, seulement pour une poignée de clients fidèles chaque année, cinq ou six. Mais aujourd'hui, nous avons considérablement augmenté notre capacité. Nous avons acquis certains actifs de la société «Kienle Automobiltechnik GmbH», aujourd'hui disparue, lorsque celle-ci a fait faillite. (NDLR: cette entreprise allemande avait été impliquée dans une controverse concernant des contrefaçons de 300 SL en 2023. Ayant perdu la confiance de ses clients, elle a fait faillite peu après. En 2024, Mercedes-Benz Heritage a racheté les outils, les pièces détachées, la clientèle et certains employés de l'ancienne société dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire). Nous disposons désormais du plus grand centre de restauration Mercedes-Benz au monde, couvrant tout, de la première moto de 1885 à, disons, la R 129 SL des années 80 et la SLR McLaren des années 2000.

Pensez-vous que Mercedes pourrait relancer la production de certains modèles historiques, comme Jaguar l'a fait avec la Type D, par exemple?

À mon avis, cela constituerait une violation totale de la confiance que nous octroient nos clients. Si vous êtes le gardien d'une voiture à compresseur des années 1920 et que vous la maintenez en état de marche, alors qu'elle a une valeur considérable, et que le constructeur vous annonce soudainement: «Nous allons en produire 100 autres», cela serait tout le contraire d'un comportement digne de confiance. Cela n'arrivera donc jamais sous ma direction.

Que pensez-vous des contrefaçons de véhicules anciens?

Oh, c'est un crime.

Même lorsque vous possédez déjà la voiture d'origine? Par exemple, si vous possédez une CLK GTR à 10 millions d'euros et que vous en construisez une autre juste pour la conduire sans craindre d'endommager l'originale?

Nous ne permettrons jamais à quelqu'un de construire une nouvelle voiture. Nous détenons les droits, nous veillerons donc à ce qu'elle soit détruite dans la mesure où la loi le permet. Je ne vois pas l'intérêt de construire un clone, une copie. Tout l'intérêt des objets historiques et de leur collection réside dans leur authenticité. Ils sont ce qu'ils sont, pas ce qu'ils semblent être. C'est pourquoi nous nous attachons à protéger l'authenticité, à vous aider en tant que gardien d'une telle voiture, en interdisant la création de copies. Cela ne fait pas partie de notre philosophie. Ce serait une illusion et cela nuirait à la valeur des modèles originaux. C'est pourquoi je n'envisagerais jamais de faire comme Bentley en produisant de nouvelles Blower identiques aux originales.

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Dans le même ordre d'idées, pourriez-vous faire renaître des véhicules qui ont disparu ou ont été détruits? Comme Audi l'a fait avec l'Auto Union Typ 52 par exemple?

Eh bien, c'est différent. Produire une pièce unique destinée à être exposée dans un musée afin de montrer au public, à des fins historiques et éducatives, comment c'était autrefois? Oui, cela a du sens. Dans ce cas, j'essaierais idéalement d'utiliser le châssis d'origine en construisant une carrosserie sur ce châssis. C'est ainsi qu'il faut procéder. Par exemple, en 2015, nous avons reconstruit une 540 K Streamliner de 1937/38 en utilisant le châssis d'origine et en reconstruisant la carrosserie à partir de documents d'archives et de dessins.

Et que pensez-vous des Restomods?

Je ne suis pas contre certaines activités de restomod. Si vous prenez une W 201, que vous la restaurez et la modifiez, ça ne me dérange pas, mais il faut que ce soit un modèle existant. En revanche, je ne permettrais pas à quelqu'un de prendre une 300 SL, d'en retirer la transmission et d'en installer une autre, qu'elle soit à batterie ou autre, car c'est un morceau d'histoire. Non. Ce serait comme aller à la Chapelle Sixtine au Vatican et dire: «Il faut la repeindre. Faisons-la en orange.» Non seulement je n'aimerais pas ça, mais je ne le permettrais pas.

Pour en revenir au scandale "Kienle", comment cela vous a-t-il affecté chez Mercedes-Benz Heritage?

Il s'agit d'un grave abus de confiance et d'une offense grave envers tous les amateurs de voitures classiques. Les autorités ont enquêté sur des crimes présumés graves. De telles pratiques illégales doivent cesser. Chez Mercedes, cela nous a poussé à nous impliquer plus activement sur le marché, afin que tous ceux qui souhaitent restaurer ou acheter une voiture classique puissent s'adresser à un partenaire de confiance. Nous voulons ainsi établir des normes pour le marché, que personne ne pourra contourner. Chez Mercedes-Benz Heritage, nous offrons également l'expertise du constructeur. Vous pouvez nous confier votre voiture – cela prend du temps et coûte cher – mais vous bénéficiez ensuite d'une analyse complète, d'une évaluation par des experts et d'une compréhension claire de l'état actuel de votre voiture par rapport à son état à la livraison.

Je suppose toutefois qu'il est parfois très difficile d'établir avec une certitude absolue qu'il ne s'agit pas d'un produit contrefait.

Tout d'abord, nous disposons des archives les plus complètes sur les voitures. Pour les évaluer, nous comparons toujours chaque voiture à son état d'origine lorsqu'elle a quitté l'usine, car nous conservons les documents originaux de chaque Mercedes, qui indiquent par exemple la configuration de la voiture et la manière dont elle a été produite sur la base de dessins techniques et de spécifications. Deuxièmement, nous avons une grande expérience, ayant travaillé sur toutes ces voitures pendant de nombreuses années. Et troisièmement, nous utilisons les outils les plus modernes, notamment des méthodes analytiques, médico-légales et technologiques.

Nous sommes au FuoriConcorso. Quelle est l'importance de cet événement pour Mercedes-Benz Heritage?

Je trouve que c'est un évènement impressionnant. C'est frais, c'est pur, c'est très agréable. Cela attire un public plus jeune que les concepts traditionnels. J'aime ça. C'est un nouveau format. Il prend de l'ampleur d'année en année. J'ai passé la matinée au Concours d'Élégance de la Villa d'Este, un très bel événement officiel. Mais c'est un peu comme aller à l'opéra traditionnel, où tout le monde est très sérieux. Au FuoriConcorso, les gens se promènent dans ce magnifique parc et, à chaque coin, sous un arbre, on découvre une voiture merveilleuse à laquelle on ne s'attendait pas. Je suis absolument certain que dans les cinq prochaines années, cet événement fera partie des cinq plus grands au monde. C'est tout simplement un concept génial, porté par l'énergie, la créativité et le style raffiné de l'impressionnant Guglielmo Miani.

Est-il toujours important pour Mercedes de participer à des événements consacrés aux voitures anciennes ?

Oui, bien sûr. Le mois prochain, nous participons à la Mille Miglia. En juillet, vous nous verrez en tant que participant majeur au Goodwood Festival of Speed. En août, nous assisterons au Pebble Beach Concours d'Elegance. Pour n'en citer que quelques-uns. Faire une chose ne signifie pas ne pas faire l'autre.

Merci de nous avoir accordé votre temps. Au revoir.

Au revoir.

Photos: Mercedes-Benz

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