Précurseur

Martin Sigrist | 24.05.2024

En 1958, Cooper amenait le moteur central en F1, déclenchant l’une des grandes révolutions de l’histoire de la course.

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Cooper T45 1958

PIONNIER MOTEUR CENTRAL

Celui qui connaît, par la mémoire ou via les images de beaux livres, les bolides du début des années 1950 qui étaient alignés en GP par Alfa Romeo, Ferrari, Mercedes ou Maserati, ne peut qu’être étonné lorsqu’il se retrouve pour la première fois face à une Cooper T45. Imaginez la situation en 1958: Cooper fait son apparition dans la catégorie reine avec cette voiture, l’industrie britannique du sport automobile était alors exactement ce qu’Enzo Ferrari désignait avec mépris comme un groupe de «garagistes», des bricoleurs et des bidouilleurs. Installés dans des hangars venteux ou d’anciens abris à avions, ces «constructeurs» étaient rarement bien équipés. Néanmoins, ils avaient des idées. C’était le cas de John Cooper et de son père Charles, qui avaient construit leurs premières voitures de course en assemblant un moteur de moto et du matériel résiduel de la Royal Air Force. Ces voitures, ils les alignaient dans des épreuves de Formule Junior. L’essieu arrière de ces bolides ultralégers était directement entraîné via une chaîne, qui le reliait au moteur de moto et à la boîte de vitesses. Cette configuration qui plaçait le moteur derrière le pilote a fini par s’imposer dans les «paddocks». John Cooper aurait d’ailleurs avoué plus tard qu’il n’imaginait pas être le précurseur d’un changement qui ferait date, mais qu’il avait choisi cette disposition pour des raisons pratiques et économiques. John, qui avait travaillé durant la guerre comme constructeur d’instruments pour l’Air Force, apportait son expérience de la construction aéronautique à la course automobile, tout comme ses contemporains Colin Chapman (Lotus) ou Frank Costin (collaborateur indépendant de Vanwall et Lotus, entre autres). Eh oui, l’aviation a posé de nombreuses bases dans le développement du sport automobile britannique, qui connut son apogée à la fin de ces années 1950.

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Avec ses virages relevés qui font la part belle à la puissance des moteurs mais qui sont peu exigeants en matière de châssis, le circuit de Brooklands allait bientôt fermer, remplacé par des circuits dessinés sur d’anciens terrains d’aviation, comme Silverstone ou Goodwood, avec leur tracé riche en virages et en changements de dénivellation. Les constructeurs doivent alors se focaliser sur les performances du châssis. Cela tombe bien puisque les Britanniques manquaient jusque-là cruellement de moteurs performants.

Formule 2 et Formule 1

Il y eut certes une exception à ce «manquement» dès 1950, sous la forme d’un moteur OHC en aluminium fabriqué par Coventry Climax. Si ce constructeur a mis en production un moteur à faible course – donc à régime élevé – après la Seconde Guerre mondiale, c’est parce qu’il n’était pas du tout prévu pour être utilisé dans une voiture. Le FW («Feather Weight») devait en effet servir à entraîner une pompe à incendie légère mais très performante. Pour une telle application, destinée à des administrations et des grandes entreprises, les coûts et les taxes britanniques qui, pour le dire simplement, ne taxait pas la cylindrée mais uniquement l’alésage (alésage au carré × nombre de cylindres ÷ 2,5), ne jouaient aucun rôle. D’ailleurs, la maintenance de cette formule fiscale jusque dans les années 1960 a longtemps constitué un certain handicap pour les moteurs de série britanniques à longue course, notamment par rapport aux constructions italiennes dans les catégories des petites et moyennes cylindrées, où de nombreux cylindres et des courses courtes étaient courants – le premier moteur britannique de série de ce type fut le 105 de Ford (1959), mieux connu sous le nom de moteur Kent. Mais c’est une autre histoire...

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Historique Ce n'est pas tous les jours que l'on voit une Cooper T45. Un exemplaire monté comme voiture de Formule 1 se trouve en Suisse.

Walter «Wally» Hassan et Harry Mundy, deux fans absolus, étaient à la tête du développement des moteurs chez Coventry Climax. Ce sont eux qui ont aidé la communauté du sport automobile à convaincre leur employeur, à partir de 1950, de remplacer le moteur FW par le FWA, le A final signifiant automobile. Ils ont également travaillé sur un V8 de course de 2,5 litres destiné à la Formule 1… mais toujours sous le prétexte de développer un nouvel entraînement pour des pompes à eau! Restait à convaincre les dirigeants de Coventry Climax d’une utilisation sportive. Le moteur FPE-Godiva qui en a résulté n’a jamais été utilisé, par crainte d’être totalement largué par le huit cylindres en ligne de la Mercedes W196 de 1954. En revanche, ce qui est resté des deux moteurs construits, c’est une culasse DOHC. En 1957, Hassan l’adapte sur un 1,5-litre destiné à la nouvelle Formule 2. C’est le Coventry Climax FPF. Avec quatre victoires (sur six possibles) en 1956, 13 (sur 16) en 1957, 15 (sur 20) en 1958 et 23 (sur 25) en 1959, Cooper est alors la puissance dominatrice de la catégorie, notamment avec sa version T45 qui glanera également des lauriers en Formule 1, le Français Maurice Trintignant remportant le GP de Monaco 1958 pour le compte de l’écurie de Rob Walker, le futur employeur de Jo Siffert.

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Arceau de sécurité, carburateurs corrects et nouveau pont d'admission pour la saison 2024.

Numéro de châssis F2-2-58

Cooper construisit 24 exemplaires de la T45. Le châssis numéro 2 visible dans ces lignes appartenait à l’équipe d’Alan Brown et de Ken Tyrrell. En 1958, Tyrrell, Masten Gregory et Mike Taylor pilotèrent cette auto. Qui, après une histoire mouvementée, trouva le chemin de la Suisse dans les années 1980, à l’occasion d’une restauration complète. Rééquipée selon les spécifications de la Formule 1 avec un moteur FPF de 2,0 litres et des freins à disque sur toutes les roues (la T45 disposait encore de freins à tambour en 1958), elle appartient depuis mai 2021 à l’Argovien Philipp Husistein. Co-propriétaire d’un important bureau d’architecture et de planification et président du Jaguar Drivers’ Club Switzerland, Husistein a fait subir à la voiture d’autres optimisations. Ainsi, le moteur FPF est à nouveau alimenté par des carburateurs Weber DCO3 en fonte sablée, comme c’était le cas à l’époque. De plus, la Cooper a reçu un nouveau collecteur d’admission, fabriqué en aluminium par impression 3D. En outre, le pilote est désormais mieux protégé par un arceau de sécurité qui correspond aux prescriptions de la FIA.

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Le propriétaire Philipp Husistein avant les premières courses de réglage

Aussi importante que soit la Cooper T45 pour la Formule 1, elle a été construite de manière simple. Dessinée par Owen Maddock, un ingénieur barbu excentrique, décrit le plus souvent comme un personnage plutôt difficile, la Cooper T45 est faite de tubes courbés, une violation manifeste à la technologie des cadres en treillis à minces parois qui venait d’être découverte. La raison de cette solution technique, que tant le patron Charles Cooper que Maddock ont défendu ensuite becs et ongles, était cependant de nature plutôt banale: si l’on en croit la rumeur, Charles Cooper voulait tout simplement quelque chose de nouveau et renvoyait sans cesse Maddock, connu pour être plutôt lent au travail, afin qu’il élabore une nouvelle proposition. Jusqu’au jour où celui-ci, furieux, dessina chaque tube de manière courbée. À son grand étonnement, Cooper senior y prit goût. Jack Brabham, troisième pilote et développeur efficace de l’équipe Cooper dès 1958, aurait toujours ironisé sur ces tubes courbés…

Peint en gris clair – la couleur rend les fissures plus visibles –, le cadre de la T45 d’Husistein est en parfait état et revêtu d’aluminium laqué rouge. Quant aux jantes blanches, elles confèrent à la T45 un look suisse, rappelant cette époque où les voitures étaient peintes aux couleurs nationales.

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Le rouge et le blanc sont les couleurs de la course suisse

En juin à Lenzerheide

Prochainement, la Cooper T45 de Philipp Husistein continuera à inscrire des courses à son palmarès puisqu’elle participera aux «Lenzerheide Motor Classics», du 7 au 9 juin. Sur le «circuit le plus haut d’Europe», dixit les organisateurs, se dérouleront différentes courses faisant concourir quelque 260 véhicules. Comme il n’y a pas beaucoup d’occasions de faire rouler une voiture de course historique en Suisse, la manifestation de Lenzerheide promettra non seulement d’être une bonne occasion de sortir la Cooper mais elle offrira aussi, au milieu des montagnes grisonnes, un décor impressionnant à cette voiture en pleine action. Des véhicules déjà présents lors des éditions 1951 et 1957 de la course de côte Tiefencastel-Lenzerheide seront également de la partie, comme la Jaguar XK 120 avec laquelle Albert «Bätsch» Scherrer a participé à la course de 1951. Un bel évènement en perspective que tout amateur ne devrait pas manquer. l

Plus d’informations sur les «Lenzerheide Motor Classics»: 
www.lenzerheidemotorclassics.ch

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Avant : double bras de suspension et ressorts hélicoïdaux

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A l'arrière, les suspensions : Double bras de suspension et ressort à lames transversal

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Extra : le silencieux est obligatoire sur l'Anneau du Rhin

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Coventry Climax FPF en version deux litres F1

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Les tubes de châssis courbés sont typiques de Cooper, les réservoirs sont placés dans les flancs de la voiture. Le châssis numéro F2-2-58 était à l'origine une Formule 2 de 1,5 litre, mais une variante de deux litres du Coventry Climax FPF se trouve maintenant à l'arrière.

Fiche technique

Cooper Climax T45 F1 (F2) 1958

Moteur Coventry Climax FPF, L4, 1965 cm³, DOHC (engrenages), 2 soupapes/cylindre, bloc et culasse en aluminium, 2 carburateurs tangentiels Weber DCO3, carter sec. Puissance d’environ 175 ch.

Transmission Boîte de vitesses à 4 rapports sur la base d’un carter de Citroën (Traction Avant), avec pièces intérieures ERSA (F).

Châssis Double bras transversal, ressorts hélicoïdaux. À l’arrière, double bras transversal, ressort à lames transversales supérieur, avant/arrière. Amortisseurs télescopiques et freins à disque Dunlop.

Carrosserie Monoplace. Aluminium sur cadre tubulaire en treillis avec tubes courbés.

Performances Env. 220 à 230 km/h.

Nombre d’exemplaires 24.

Photos: Arthur Mebius

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Essai Rien n'est laissé au hasard, la Cooper a effectué ses tours d'essai sur l'Anneau du Rhin sans se plaindre.

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Comme les pilotes privés de Formule 1 des années 1950 et 1960, Philipp Husistein amène lui-même sa Cooper sur le circuit et prépare sa voiture. Cela fait partie du plaisir de conduire des voitures de course historiques.

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