Petite «Schmitt»

Martin Sigrist | 18.04.2024

À mi-chemin entre la voiture et la moto, il y a le 
Messerschmitt KR201, un véhicule mignon à croquer.

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Vol à basse altitude La proximité avec un avion est indéniable, mais l'histoire du FMR KR 201 est plus complexe qu'il n'y paraît.

Messerschmitt 
KR 201 Roadster

SCOOTER À CABINE «CABRIO»

Renald Egloff enfile des gants, une casquette et des lunettes. Il monte dans son véhicule, rabat le siège et le toit. Le toit? Ce n’est guère plus qu’un pare-brise et un cadre avec une capote, soigneusement pliée sous un couvercle qui s’élève assez haut. On n’entend pas le ronflement du démarreur, le monocylindre deux-temps de Fichtel & Sachs prend vie comme une hybride moderne, sans faire de scène. Mais lorsqu’il est en marche, il le fait savoir par un claquement clair et une petite fumée bleue qui sort d’un tuyau d’échappement du diamètre d’un doigt. En marche arrière, Egloff manœuvre son «Petit Schmitt», comme il appelle affectueusement son engin, pour le sortir du garage. Il dispose pour cela de quatre vitesses. Attendez, quoi? Oui, vous avez bien lu: quatre rapports différents sont disponibles pour faire reculer le KR 201, bien qu’il ne possède pas de marche arrière! Ce miracle incongru est rendu possible par la construction même du monocylindre 191 cm3: il peut également être démarré en marche arrière! Pour ce faire, la serrure de la clef de contact connaît deux sens de rotation – vers la gauche ou vers la droite –, le démarreur dynamique Bosch est polarisé en conséquence et le moteur se met en marche selon le sens de rotation choisi après une pression sur la clé de contact. Le KR 201 est équipé d’un système électrique douze volts, quand bien même il est né à une époque où les trois plus grands constructeurs automobiles (VW, Opel et Ford) faisaient encore sortir leurs voitures des chaînes de montage avec des systèmes de six volts. Manœuvrer la KR 201 est facile. D’ailleurs, Renald Egloff aurait pu pousser son véhicule hors du garage sans effort: il ne pèse qu’environ 240 kg. De brefs mouvements du guidon, dont la forme de corne de vache rappelle plutôt celle d’un manche à balai d’avion, permettent de diriger les roues directement articulées par des barres d’accouplement; un mécanisme de direction (coûteux) devenant du même coup superflu.

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Ce n’est pas Willy Messerschmitt, le constructeur d’avions auquel les puissances victorieuses avaient interdit de fabriquer des avions après la Seconde Guerre mondiale, qui avait conçu le Messerschmitt, mais bien Fritz Fend, qui avait travaillé chez Messerschmitt. Parmi les projets de l’ex-avionneur Fend figurait par exemple le Me 262, le premier chasseur à réaction opérationnel au monde. En 1946, alors qu’il n’a que 26 ans, Fend se retrouve sans travail. Il imagine donc un véhicule pour invalides, d’abord avec une simple propulsion manuelle, mais bientôt équipé d’une carrosserie et d’un toit, ainsi que, conséquence logique, d’un petit deux-temps. Entre 1947 et 1950, il construira environ 280 exemplaires de ce petit bolide, qui se distinguaient les uns des autres par des améliorations constantes et un moteur plus puissant. Messerschmitt, à la recherche d’un produit pour son entreprise désaffectée, incite alors Fend, dépassé par son propre succès, à transformer son véhicule en «voiture» deux places. Pour ce faire, il lui procure un atelier de production plus grand et lui offre son soutien afin de remanier en profondeur ce véhicule en vue de sa production en grande série. La deux-places est alors équipée d’un moteur plus puissant de 9 ch et d’un capot en plexiglas en guise de pavillon. Le tout s’appellera Messerschmitt KR 175 et fêtera son lancement au Salon de l’Automobile de Genève, en 1953. Du point de vue de l’immatriculation, le KR 175 est plutôt considéré en Suisse comme une moto avec side-car, que comme une voiture. Quoiqu’il en soit, cet engin attire l’attention, d’autant que son nom suggère une proximité avec la construction aéronautique. Les rumeurs selon lesquelles d’anciennes pièces de Messerschmitt «volant» auraient été utilisées pour sa construction sont toutefois fausses, mais elles arrangent bien Fend et Messerschmitt, qui ne voient donc aucune raison de les démentir.

En 1955, le Messerschmitt trouve sa forme définitive, c’est le modèle KR 200. Avec 12 000 véhicules produits, ce sera l’année la plus réussie pour le scooter à cabine allemand.

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Un roadster exotique

La version roadster apparaît en 1957. Elle doit d’abord aider à faire baisser le prix à moins de 2000 DM. La capote est proposée en option; si on la désire, la variante ouverte devient aussi chère que la fermée. En 1956, Messerschmitt retire son nom du KR 200, construit jusqu’alors par la société «Regensburger Stahl und Metallbau». Pourquoi ce retrait? Simple: la construction aéronautique, la vraie spécialité de Messerschmitt, ne peut recevoir les subventions nécessaires à sa reprise qu’après avoir stoppé la construction des petits véhicules. La société FMR – pour Fahrzeug und Maschinenbau Regensburg AG –, est donc créée à cet effet. Fritz Fend met fin à ses activités en 1958. FMR produira le scooter à cabine jusqu’en 1964. Différentes sources font état d’un total d’environ 40 000 KR 175, 200 et 201 exemplaires fabriqués. Puis, ce fut la fin, le monde réclamant désormais des «vraies» voitures.

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Le souci du détail Tout est mécanique sur le KR 201. Le freinage est assuré par des câbles. Le simili-cuir de serpent était de série sur le roadster. Le levier de vitesse chromé n'était disponible que sur la version ouverte du scooter.

La construction simple du Messerschmitt – ou FMR – est remarquable. Les roues avant sont suspendues individuellement par des éléments rotatifs en caoutchouc, la roue arrière possède un bras oscillant avec une chaîne qui tourne dans un bain d’huile. Les freins sont actionnés mécaniquement. Comme dans une voiture, il y a trois pédales pour l’embrayage, le frein et l’accélérateur. Le changement de vitesses s’effectue à l’aide d’un levier manuel avec cliquet séquentiel, comme sur une moto. Le corps de la carrosserie est un bac en tôle résistant à la torsion, sans cavités complexes ou autres. Comme nous l’explique Renald Egloff, un vrai roadster KR 201 est différent de son homologue équipé du capot en plexiglas sur certains détails. Ainsi, la version ouverte a en effet le plus souvent une sellerie en imitation cuir de serpent, résultat du souhait particulier d’un client d’outre-mer qui avait acheté le roadster pour son épouse. De plus, on trouve de petits hublots sur le capot arrière et des enjoliveurs dans le style d’une roue à fermeture centrale Rudge. Peut-être que l’objet phare de la construction automobile allemande de l’époque, la Mercedes 300 SL, pour laquelle ces jantes étaient disponibles en option, a servi de modèle...

Egloff, qui s’est offert son « Petit Schmitt» pour sa retraite, n’était tout d’abord pas certain que le KR 201 qu’il avait acheté restauré était authentique, car ce roadster assez rare est volontiers copié, ce qui est d’ailleurs relativement facile. Des recherches approfondies – une spécialité du propriétaire –, ont toutefois révélé que ce scooter à cabine avait effectivement quitté les ateliers FMR, à Regensburg, en 1959 sous la forme de roadster.

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Le propriétaire, Renald Egloff, s'est offert le roadster pour son départ à la retraite. Malgré sa petite taille, le KR 201 se fait remarquer partout. Et ce qui paraît drôle aujourd'hui trouve son origine dans l'exigence tout à fait sérieuse d'un moyen de transport bon marché. C'est pour cela qu'il a été soigneusement construit et développé.

Parfait sur les routes de campagne

Le roadster passe devant nous en pétaradant, le propriétaire souriant jusqu’aux oreilles. Cette microcar comme on l’appellerait aujourd’hui, dissémine la bonne humeur auprès des passants. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’y a pas de quoi rire. Au contraire, il est plus qu’étonnant de voir avec quelle facilité deux quidams peuvent être transportées d’un point A à un point B, capote fermée et au sec. Si l’on se reporte à l’époque de sa création, on se rend compte que le constructeur était très sérieux dans son idée: transporter deux personnes protégées par un toit pour un budget qui, en règle générale, suffisait tout au plus pour une moto. Au début des années 1950, d’innombrables constructeurs en Europe en ont rêvé, y compris certains qui manquaient de connaissances techniques. Nombre d’entre eux ont échoué parce que leurs engins étaient incroyablement primitifs, voire instables, et parfois même affreusement mal construits. Ce n’est pas le cas du KR 201. Certes, beaucoup de ses éléments semblent fragiles ou du moins filigranes, mais le mécanisme de pliage raffiné du siège conducteur, qui se déplace vers l’avant et vers le haut afin de faciliter l’accès pour le conducteur et le passager, témoigne du souci du détail et du soin apporté à la construction de ce simple véhicule. On ne peut pas non plus nier une certaine exigence esthétique, à laquelle le KR 201 répond parfaitement. Le roadster blanc et rouge est magnifique, ses lignes semblent être d’un seul tenant, on pourrait même dire: «cool». De plus, les performances routières sont tout à fait respectables malgré le nombre modeste de chevaux; le KR 201 peut même rouler sur l’autoroute, sa vitesse maximale étant d’environ 90 km/h. Mais le propriétaire n’en a aucunement l’intention. Pour les rencontres classiques et autres longs déplacements, il met son «Petit Schmitt élastique», comme il l’a surnommé, sur une remorque. Eh oui, on trouve ses jambes plutôt élastiques dans le sillage des camions lorsqu’on roule à vitesse maximale! C’est pour cela que les meilleurs terrains de chasse du roadster sont les routes de campagne et les voies secondaires isolées. Sa faible largeur et sa bonne tenue de route, meilleure que celle de certaines «vraies» voitures de l’époque, sont ici des atouts importants.

Pour ses occupants, le scooter à cabine apportait plus de confort et de sécurité qu’un deux-roues, sur lesquels on est exposés au vent et aux intempéries. En Allemagne, le KR 201 était même homologué pour deux adultes et un enfant. Mais si la famille continuait à s’agrandir, il fallait dès lors trouver quelque chose de plus grand. Cette réalité, l’augmentation des revenus et l’apparition de voitures d’occasion bon marché ont été synonyme de fin du tricycle dans les années 1960. Mais aujourd’hui encore, le petit Messerschmitt est très amusant. À conduire comme à admirer. l

Fiche technique

FMR KR 201 Roadster 1959

Moteur Monocylindre deux temps de Fichtel & Sachs, 191 cm³, 10 ch, refroidi par ventilateur.

Transmission Entraînement des roues arrière par chaîne à rouleaux dans un bain d’huile, boîte de vitesses à 4 rapports séquentiels, marche arrière en changeant le sens de rotation du moteur. Système Dynastart 12 V.

Châssis Éléments de suspension en caoutchouc à l’avant, bras oscillant tiré à l’arrière.

Carrosserie Bac en acier soudé, deux places en tandem.

Performances Vitesse maxi env. 90 km/h.

Nombre d’exemplaires Environ 40 000.

Prix Au lancement en 1956, la version économique était proposée à moins de 2000 DM.

Photos: Vesa Eskola

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L'épicurien Renald Egloff est un "petrolhead" jusqu'au bout des ongles. Ce Suisse central ne conduit pas seulement des scooters confortables, mais aussi de vraies voitures. Mais c'est avec son "Schmittchen Schleicher" qu'il se fait le plus remarquer sur la route.

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