Vote Le peuple suisse a approuvé la loi sur l’électricité. Une politique énergétique plus indépendante semble donc se profiler. Avec quelles implications? Décryptage.
L’hydroélectricité est un pilier important de la politique énergétique. Le barrage du lac de Göscheneralp doit être rehaussé de 15 mètres. L’augmentation de la capacité de stockage permettrait de mieux déplacer la production d’électricité de l’été vers l’hiver.
Les électeurs suisses ont voté dimanche dernier,
approuvant notamment à une large majorité (68,7 %) la loi sur
l’approvisionnement en électricité. La Suisse s’engage ainsi à atteindre
des objectifs concrets: la production d’électricité à partir d’énergies
renouvelables, à l’exception de l’énergie hydraulique, doit atteindre
au moins 35 TWh en 2035 et 45 TWh en 2050. De plus, la production nette
d’énergie hydraulique doit être d’au moins 37,9 TWh en 2035 et d’au
moins 39,2 TWh en 2050. En l’espace de onze ans, il faudra donc produire
cinq fois plus d’électricité à partir de sources renouvelables
qu’aujourd’hui. De plus, les importations nettes d’électricité ne
doivent pas dépasser 5 TWh pendant le semestre d’hiver. Parallèlement,
des objectifs sont également fixés pour la consommation moyenne.
D’ici 2035, la consommation d’énergie par personne doit
être réduite de 43 % par rapport au niveau de 2000 et de 53 % d’ici
2050. Pour l’électricité, les objectifs sont respectivement de 13 et 5 %
sur la même période de comparaison. Le développement des centrales
électriques est également subventionné et la bureaucratie est
simplifiée: la Suisse a consommé en moyenne 810 000 térajoules (225 TWh)
d’énergie par an au cours des cinq dernières années – la valeur brute
est encore supérieure d’environ 30 % en raison des pertes de conversion –
et dépend pour cela à environ 70 % de l’étranger en raison des
importations, comme l’indique l’Office fédéral de l’énergie. Les
transports, les ménages et l’économie consomment chacun environ un tiers
de l’énergie finale de la Suisse. De même, les carburants fossiles
représentent environ un tiers de la consommation totale d’énergie
finale, selon Energie Suisse.
Importations conséquentes
En 2022, 8 090 000 tonnes de produits pétroliers ont
été importées, principalement du Nigeria, des États-Unis et de la Libye.
Viennent ensuite comme sources d’énergie le nucléaire (19,9 %),
l’hydraulique (14 %), le gaz (12,8 %) et toutes les autres formes
d’énergie (17 %). La production nationale d’électricité est actuellement
assurée pour près de deux tiers par l’énergie hydraulique et pour près
d’un tiers par les centrales nucléaires. Les centrales thermiques
conventionnelles et les sources d’énergie renouvelables ne représentent
actuellement que 9 % de la production. Pour l’année 2050, l’Association
des entreprises électriques suisses estime, dans une étude commune avec
l’Empa, que la consommation annuelle d’électricité sera d’environ 140 à
160 TWh, notamment parce que les systèmes électriques sont généralement
plus efficaces que les systèmes fossiles. Si nous additionnons les
prescriptions de la nouvelle loi sur l’électricité, nous arrivons en
2050 à au moins 45 TWh issus de la production d’électricité renouvelable
et plus au moins 39,2 TWh issus de l’énergie hydraulique. Tout mis
ensemble, cela couvre au maximum 60 % de la consommation.
Développer l’énergie solaire se fait déjà, comme ici le long de l’A28 dans les Grisons.
La Suisse devra donc continuer à importer beaucoup
d’électricité. Toutefois, la dépendance à l’égard des importations
passera de 79 % aujourd’hui à entre 30 et 42 %, selon le scénario
calculé par l’étude mentionnée. De plus, cela ouvre la voie à une
économie énergétique sans fossiles. Parallèlement, les particuliers
bénéficient de plusieurs avantages. Les personnes qui installent des
panneaux solaires continueront à bénéficier d’un soutien financier. Pour
l’électricité solaire injectée dans le réseau, il existe des prix
minimums uniformisés dans toute la Suisse. Il est désormais possible de
négocier l’électricité solaire autoproduite au sein d’un quartier.
Critiques sur le degré d’action en Suisse
Rappelez-vous qu’en adoptant la loi révisée sur le CO2,
la Suisse s’est engagée à atteindre l’objectif zéro net à partir de
2050. Mais pour certains, cette nouvelle adoption d’un vote respectueux
du climat ne va pas assez loin. On sait que la Suisse a récemment été
accusée de violer les droits de l’homme. L’arrêt de la Cour européenne
des droits de l’homme (CEDH) a valeur de symbole et a suscité un intérêt
médiatique mondial. L’association «Aînées du Climat Suisse», un
sous-groupe de Greenpeace, a déploré que l’on ne fasse pas assez pour la
protection du climat dans notre pays, ce qui nuit considérablement à la
santé et à la vie des femmes âgées. Et les juges de Strasbourg leur ont
donné raison.
En tant qu’État membre du Conseil de l’Europe, la
Suisse est donc théoriquement tenue d’en faire plus pour le climat, mais
pour le Conseil des États, la situation est différente. Une déclaration
à l’intention de Strasbourg a été approuvée par 31 voix contre 11 et
deux abstentions, expliquant pourquoi le Conseil accepte la décision,
mais estime que ce qui est exigé par l’arrêt est déjà réalisé. Le
Conseil national devrait également approuver clairement la déclaration
cette semaine. Principalement parce que l’arrêt a été rendu avant
l’adoption de la loi révisée sur le CO2 – à laquelle s’ajoute depuis
dimanche la loi sur l’électricité adoptée –, les derniers développements
de la législation suisse sur le climat n’ont donc pas été pris en
compte. «Cette déclaration ne veut pas dire que le jugement est ignoré
et que les droits de l’homme sont niés. Elle indique simplement que la
Suisse ne voit aucune raison de continuer à se conformer à l’arrêt»,
déclare le conseiller aux États Andrea Caroni (PLR). En outre, le
Parlement reproche à la CEDH d’avoir exagéré les limites d’une évolution
fiable du droit. Le conseiller aux États Daniel Jositsch (PS/ZH)
affirme que ce n’est pas le rôle d’une Cour d’imposer ses vues au
législateur. Son collègue Pirmin Schwander (UDC/SZ) abonde dans le même
sens: la Cour s’est érigée en législateur moral. La réaction de la CEDH
n’est pas encore claire, mais les leviers semblent effectivement
limités. D’un autre côté, le conseiller aux États Carlo Sommaruga
(PS/GE) affirme que ce n’est pas le rôle de la politique de dire au
pouvoir judiciaire ce qu’il doit faire. Considérer les jugements
défavorables comme un dépassement des compétences de la justice, c’est
ce que font les États autoritaires et les hommes politiques comme
l’ex-président américain Donald Trump. Céline Vara (Verts/NE) a même
critiqué la déclaration en la qualifiant de honteuse, tout comme Amnesty
International, qui s’inquiète de cette décision.
Les «Aînées du Climat» ont eu gain de cause devant la Cour
européenne des droits de l’homme au sujet de la politique climatique suisse.
«En acceptant de ne pas respecter un arrêt de la CEDH,
la Suisse enverrait un signal désastreux aux États européens, montrant
qu’elle ne se sent plus liée par la Convention et les arrêts de la Cour.
Et qu’en est-il de la volonté du peuple? Lors de la votation sur
l’initiative pour l’autodétermination en 2018, les électeurs ainsi que
tous les cantons ont exprimé un engagement clair en faveur de la CEDH»,
explique Alexandra Karle, directrice d’Amnesty Suisse. Il est également
intéressant de reprendre les arguments que les personnes impliquées
directement dans le débat ont parfois utilisés (à gauche de l’échiquier
politique). Et comment les fronts de la politique climatique se
durcissent à vue d’œil, ou comment les camps s’éloignent peu à peu les
uns des autres, comme c’est le cas pour d’autres sujets.
D’un côté, Pia Hollenstein, ancienne conseillère
nationale des Verts et spécialiste du climat, fait des reproches au
Parlement: «Il serait plus honnête de dire que vous ne voulez pas du
tout améliorer le climat, car vous n’avez pas du tout pris conscience de
la gravité de la situation.» D’un autre côté, le conseiller national
UDC Christian Imark souligne que l’on ne peut prendre en compte
durablement la responsabilité du climat que si la population et
l’économie sont prises en compte – sa solution est d’ailleurs de
construire de nouvelles centrales nucléaires.
Un espoir pour 2050
En adoptant la loi sur l’électricité, la Suisse a
définitivement posé la première pierre d’une politique énergétique plus
durable et plus indépendante. Mais cela est loin d’être suffisant, comme
le montrent les chiffres. D’autant plus que la centrale nucléaire la
plus récente, celle de Leibstadt, devrait être mise hors service avant
2050. Les exploitants étudient actuellement les conséquences d’une
prolongation jusqu’à 80 ans. Le fait que la Suisse agisse déjà au
maximum dans le respect du climat et devienne en outre majoritairement
indépendante des importations n’est qu’une moitié de la vérité. Et
d’autre part, la formulation selon laquelle la Suisse ne s’engage pas
assez pour la protection du climat, voire viole les droits de l’homme,
est plutôt malheureuse si l’on considère ce qui se passe dans d’autres
pays industrialisés. Certes, selon Energie Suisse, la consommation brute
d’énergie est légèrement supérieure à la moyenne européenne et
largement supérieure à la mondiale; cependant, la part des énergies
fossiles dans la consommation mondiale d’énergie brute s’élève à plus de
80 %. En comparaison, la Suisse serait très bien placée en 2050 si elle
atteignait l’objectif zéro net. La question qui demeure est: avec quels
moyens concrets? Car une loi ne suffit pas à produire de l’électricité .