Le Mans, passé, présent et futur

Jean-Claude Schertenleib | 06.06.2024

24 heures du Mans À deux semaines de la 92e édition de la 
plus célèbre des courses automobiles, 
petit voyage dans le temps.

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Le départ «type Le Mans» sera supprimé dès 1970. Un an plus tôt, le futur vainqueur Jacky Ickx avait traversé la piste en marchant!

Il y eut, dès la fin du 19e siècle et dans les premières années du 20e, de fameuses courses d’une ville à l’autre, épopées alors modernes où l’on se couvrait de gloire, mais aussi souvent de douleurs. Quelle technologie – le mot n’existait pas encore – allait triompher? La vapeur, l’électricité ou ce moteur à explosion qui méritait parfois pleinement son nom? Les précurseurs avaient alors pour noms Amédée Bollée, Daimler, Peugeot et bientôt Renault.

Les 26 et 27 juin 1906, un premier Grand Prix de vitesse pour véhicules automobiles est organisé sous les auspices de l’Automobile-Club de France par une association régionale tout juste née, l’Automobile-Club de l’Ouest (ACO). Cela se passe du côté du Mans, chef-lieu de la Sarthe. Seize ans et une première guerre mondiale plus tard, l’état-major de l’ACO imagine cette fois une course d’endurance, sur un circuit fermé. De 1000 kilomètres? De 12 heures? Non, ce sera 24 heures, bientôt avec un «H» majuscule! Ainsi les phares seront soumis à une véritable épreuve: «Messieurs, la course doit être un banc d’essai de la route. Si le sport automobile n’a pas pour conséquence l’amélioration de toutes les techniques de la voiture, et en particulier des dispositifs de sécurité, alors il ne se justifie par rien d’autre que par le goût futile de la compétition», aurait lancé Charles Faroux, journaliste à la «Vie Automobile» et véritable «père» de la fameuse course. Les 26 et 27 mai 1923, le «Grand Prix d’endurance de 24 heures» est remporté par la Chenard & Walcker d’André Lagache et René Léonard.

Quel héritage?

Que reste-t-il de tout cela 101 ans plus tard? Une épreuve devenue mythique, course phare d’un Championnat du Monde d’endurance (WEC) qui retrouve une nouvelle jeunesse avec un nombre grandissant de constructeurs officiellement engagés (9 dans la catégorie-reine des Hypercars, autant en LMGT3). Comment expliquer cette renaissance? Les réponses sont multiples, selon qu’elles proviennent des gens du marketing – gagner le dimanche et vendre le lundi en profitant des retombées d’image – des techniciens et des acteurs.

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Si le «Captain» Roger Penske se charge du programme officiel Porsche, c’est le team privé Jota (second plan) qui a gagné à Spa-Francorchamps.

Si les phares, aux origines, ont trouvé un banc d’essai idéal dans cette épreuve, si les freins à disques ont été en grande partie mis au point au Mans, on parle désormais de récupération d’énergie, de développement de carburants synthétiques ne comprenant plus le moindre élément fossile. Et surtout d’hydrogène. Une catégorie dédiée à cette technologie est prévue à l’horizon 2026. L’ACO est directement engagé dans cette voie avec sa MissionH24, comme le rappelle son président, Pierre Fillon: «Ce 15 juin 2024 marquera l’histoire des 24 Heures du Mans. Pour la première fois, des prototypes hydrogène rouleront sur le grand circuit – avant le départ de la course. En plus de notre Mission H24, Ligier et sa JS2 RH2 relèveront le défi. Avec l’hydrogène, l’endurance prépare la compétition durable.» En attendant, Toyota et Alpine. Puis d’autres…

L’image… et le reste

Car face à ce mouvement, les autres constructeurs ne peuvent pas rester immobiles. Pour des questions évidentes d’image, mais aussi pour des raisons purement technologiques. C’est pour cela qu’ils sont de plus en plus nombreux en piste, pour cela encore que la «guéguerre» entre l’ACO et l’IMSA (le championnat nord-américain) a pris fin, qu’on s’est mis d’accord sur des règlementations communes pour que les nouvelles voitures puissent être alignées aussi bien en Championnat du Monde d’Endurance qu’outre-Atlantique, avec des plateformes communes, histoire de maîtriser, si possible, les coûts.

Pour les marques, le défi est de taille, puisqu’elles ne cachent pas leur identité derrière le nom d’une boisson énergétique, quand ce ne sont pas des sites de paris en ligne. Et ça marche, à l’image de Porsche, 19 fois vainqueur au classement général absolu, plus de 100 victoires de catégorie. Présente dans la Sarthe depuis 1951, soit à peine trois ans après sa fondation, la marque de Zuffenhausen a vite compris l’intérêt de participer à une telle épreuve. Pour l’image avec les victoires au général, pour des raisons plus directes avec les succès en GT, comme le rappelait il y a quelques années Wolfgang Porsche, le plus jeune fils de «Ferry», auquel il a succédé en 1998: «Le GT, c’est très important, car ce sont les voitures que nos clients conduisent. Et nos clients, c’est ce qu’il y a de plus important pour nous.» Porsche et Le Mans, c’est une histoire de famille qui perdure.

Ferrari, Ford et… Toyota

Et que dire de Ferrari, puis de Ford? En 1963, alors que la prestigieuse marque italienne connaît de sérieuses difficultés financières, le géant de Détroit, Ford, fait une proposition d’achat. Alors que le projet de vente est quasiment bouclé, le «Commendatore» Enzo Ferrari se rétracte et annule brusquement les négociations; c’est un camouflet pour les négociateurs venus de Dearborn et le géant américain va répondre sur le terrain où règne la Scuderia, en lançant son programme GT40. Après deux tentatives ratées (1964 et 1965), c’est une première victoire l’année suivante. L’ogre américain a mangé le Cavallino italien dans l’épreuve-reine, les 24 Heures du Mans!

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Mission H24, c’est le projet né en Suisse et pris en charge par l’Automobile-Club de l’Ouest, celui d’une voiture à hydrogène qui devrait être au départ des 24 Heures d’ici deux ans.

Audi y viendra, y gagnera et repartira. Peugeot va aussi s’imposer, avant de se retirer et de revenir dans cette ère nouvelle entamée il y a trois ans. Une ère dans laquelle Toyota a tenu le rôle principal, restant fidèle à la discipline alors que d’autres faisaient des allers-retours. Pour le plus grand constructeur japonais, le développement de la technologie hybride – premier modèle Prius en 1997 – a pleinement justifié son engagement, d’abord en LMP1, puis en Hypercar. Longtemps seul ou presque en lice, Toyota, encore Champion du Monde en 2023 (mais battu par Ferrari au Mans), affronte désormais une concurrence toujours plus vive. Pour le plus grand plaisir des spectateurs (325 000 l’an dernier, à l’occasion de la course du centenaire) qui ont l’embarras du choix.

Car il y a désormais abondance de biens. Des équipes «privées», comme Jota et Proton Competition disposent de voitures pouvant viser la victoire absolue (des Porsche, en l’occurrence); elles peuvent ainsi montrer leur savoir-faire et espérer, à court ou moyen terme – Jota devrait reprendre le programme Cadillac dès l’an prochain – à convaincre un futur nouveau constructeur à leur confier leurs prototypes. L’endurance, qui avait durant un temps été considérée comme une discipline de second ordre, où l’on trouvait quelques anciens de la F1 jouant les prolongations, est désormais l’endroit où il faut être pour les pilotes. Même – surtout! – les plus jeunes, qui ont compris que la F1 n’était plus abordable et qui, après s’être cassé les dents et vidé le porte-monnaie en F3 et en F2, se tournent vers ces courses de longue haleine et son mythe, les 24 Heures du Mans.

Dans deux semaines, un an après le basketteur américain LeBron James, c’est une autre légende du sport mondial, le footballeur français Zinédine Zidane, qui aura l’honneur de donner le départ et de lancer la fameuse phrase: «Ladies and gentlemen, please start your engines!»  

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24 Heures du Mans 1989: doublé des Sauber C9 Mercedes-Benz, la victoire revenant à la 63 (Jochen Mass, Manuel Reuter, Stanley Dickens).

Le Mans 2024: Les constructeurs 
officiellement représentés

Alpine (Hypercar)

Aston Martin (LMGT3)

BMW (Hypercar, LMGT3)

Cadillac (Hypercar)

Corvette (LMGT3)

Ferrari (Hypercar, LMGT3)

Ford (LMGT3)

Isota-Fraschini (Hypercar)

Lamborghini (Hypercar, LMGT3)

Lexus (LMGT3)

McLaren (LMGT3)

Peugeot (Hypercar)

Porsche (Hypercar, LMGT3)

Toyota (Hypercar)

Photos: Mercedes, Porsche, H24

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