24 heures du Mans À deux semaines de la 92e édition de la plus célèbre des courses automobiles, petit voyage dans le temps.
Le départ «type Le Mans» sera supprimé dès 1970. Un an plus tôt, le futur vainqueur Jacky Ickx avait traversé la piste en marchant!
Il y eut, dès la fin du 19e siècle et dans les
premières années du 20e, de fameuses courses d’une ville à l’autre,
épopées alors modernes où l’on se couvrait de gloire, mais aussi souvent
de douleurs. Quelle technologie – le mot n’existait pas encore – allait
triompher? La vapeur, l’électricité ou ce moteur à explosion qui
méritait parfois pleinement son nom? Les précurseurs avaient alors pour
noms Amédée Bollée, Daimler, Peugeot et bientôt Renault.
Les 26 et 27 juin 1906, un premier Grand Prix de
vitesse pour véhicules automobiles est organisé sous les auspices de
l’Automobile-Club de France par une association régionale tout juste
née, l’Automobile-Club de l’Ouest (ACO). Cela se passe du côté du Mans,
chef-lieu de la Sarthe. Seize ans et une première guerre mondiale plus
tard, l’état-major de l’ACO imagine cette fois une course d’endurance,
sur un circuit fermé. De 1000 kilomètres? De 12 heures? Non, ce sera 24
heures, bientôt avec un «H» majuscule! Ainsi les phares seront soumis à
une véritable épreuve: «Messieurs, la course doit être un banc d’essai
de la route. Si le sport automobile n’a pas pour conséquence
l’amélioration de toutes les techniques de la voiture, et en particulier
des dispositifs de sécurité, alors il ne se justifie par rien d’autre
que par le goût futile de la compétition», aurait lancé Charles Faroux,
journaliste à la «Vie Automobile» et véritable «père» de la fameuse
course. Les 26 et 27 mai 1923, le «Grand Prix d’endurance de 24 heures»
est remporté par la Chenard & Walcker d’André Lagache et René
Léonard.
Quel héritage?
Que reste-t-il de tout cela 101 ans plus tard? Une
épreuve devenue mythique, course phare d’un Championnat du Monde
d’endurance (WEC) qui retrouve une nouvelle jeunesse avec un nombre
grandissant de constructeurs officiellement engagés (9 dans la
catégorie-reine des Hypercars, autant en LMGT3). Comment expliquer cette
renaissance? Les réponses sont multiples, selon qu’elles proviennent
des gens du marketing – gagner le dimanche et vendre le lundi en
profitant des retombées d’image – des techniciens et des acteurs.
Si le «Captain» Roger Penske se charge du programme officiel Porsche, c’est le team privé Jota (second plan) qui a gagné à Spa-Francorchamps.
Si les phares, aux origines, ont trouvé un banc d’essai
idéal dans cette épreuve, si les freins à disques ont été en grande
partie mis au point au Mans, on parle désormais de récupération
d’énergie, de développement de carburants synthétiques ne comprenant
plus le moindre élément fossile. Et surtout d’hydrogène. Une catégorie
dédiée à cette technologie est prévue à l’horizon 2026. L’ACO est
directement engagé dans cette voie avec sa MissionH24, comme le rappelle
son président, Pierre Fillon: «Ce 15 juin 2024 marquera l’histoire des
24 Heures du Mans. Pour la première fois, des prototypes hydrogène
rouleront sur le grand circuit – avant le départ de la course. En plus
de notre Mission H24, Ligier et sa JS2 RH2 relèveront le défi. Avec
l’hydrogène, l’endurance prépare la compétition durable.» En attendant,
Toyota et Alpine. Puis d’autres…
L’image… et le reste
Car face à ce mouvement, les autres constructeurs ne
peuvent pas rester immobiles. Pour des questions évidentes d’image, mais
aussi pour des raisons purement technologiques. C’est pour cela qu’ils
sont de plus en plus nombreux en piste, pour cela encore que la
«guéguerre» entre l’ACO et l’IMSA (le championnat nord-américain) a pris
fin, qu’on s’est mis d’accord sur des règlementations communes pour que
les nouvelles voitures puissent être alignées aussi bien en Championnat
du Monde d’Endurance qu’outre-Atlantique, avec des plateformes
communes, histoire de maîtriser, si possible, les coûts.
Pour les marques, le défi est de taille, puisqu’elles
ne cachent pas leur identité derrière le nom d’une boisson énergétique,
quand ce ne sont pas des sites de paris en ligne. Et ça marche, à
l’image de Porsche, 19 fois vainqueur au classement général absolu, plus
de 100 victoires de catégorie. Présente dans la Sarthe depuis 1951,
soit à peine trois ans après sa fondation, la marque de Zuffenhausen a
vite compris l’intérêt de participer à une telle épreuve. Pour l’image
avec les victoires au général, pour des raisons plus directes avec les
succès en GT, comme le rappelait il y a quelques années Wolfgang
Porsche, le plus jeune fils de «Ferry», auquel il a succédé en 1998: «Le
GT, c’est très important, car ce sont les voitures que nos clients
conduisent. Et nos clients, c’est ce qu’il y a de plus important pour
nous.» Porsche et Le Mans, c’est une histoire de famille qui perdure.
Ferrari, Ford et… Toyota
Et que dire de Ferrari, puis de Ford? En 1963, alors
que la prestigieuse marque italienne connaît de sérieuses difficultés
financières, le géant de Détroit, Ford, fait une proposition d’achat.
Alors que le projet de vente est quasiment bouclé, le «Commendatore»
Enzo Ferrari se rétracte et annule brusquement les négociations; c’est
un camouflet pour les négociateurs venus de Dearborn et le géant
américain va répondre sur le terrain où règne la Scuderia, en lançant
son programme GT40. Après deux tentatives ratées (1964 et 1965), c’est
une première victoire l’année suivante. L’ogre américain a mangé le
Cavallino italien dans l’épreuve-reine, les 24 Heures du Mans!
Mission H24, c’est le projet né en Suisse et pris en charge par l’Automobile-Club de l’Ouest, celui d’une voiture à hydrogène qui devrait être au départ des 24 Heures d’ici deux ans.
Audi y viendra, y gagnera et repartira. Peugeot va
aussi s’imposer, avant de se retirer et de revenir dans cette ère
nouvelle entamée il y a trois ans. Une ère dans laquelle Toyota a tenu
le rôle principal, restant fidèle à la discipline alors que d’autres
faisaient des allers-retours. Pour le plus grand constructeur japonais,
le développement de la technologie hybride – premier modèle Prius en
1997 – a pleinement justifié son engagement, d’abord en LMP1, puis en
Hypercar. Longtemps seul ou presque en lice, Toyota, encore Champion du
Monde en 2023 (mais battu par Ferrari au Mans), affronte désormais une
concurrence toujours plus vive. Pour le plus grand plaisir des
spectateurs (325 000 l’an dernier, à l’occasion de la course du
centenaire) qui ont l’embarras du choix.
Car il y a désormais abondance de biens. Des équipes
«privées», comme Jota et Proton Competition disposent de voitures
pouvant viser la victoire absolue (des Porsche, en l’occurrence); elles
peuvent ainsi montrer leur savoir-faire et espérer, à court ou moyen
terme – Jota devrait reprendre le programme Cadillac dès l’an prochain –
à convaincre un futur nouveau constructeur à leur confier leurs
prototypes. L’endurance, qui avait durant un temps été considérée comme
une discipline de second ordre, où l’on trouvait quelques anciens de la
F1 jouant les prolongations, est désormais l’endroit où il faut être
pour les pilotes. Même – surtout! – les plus jeunes, qui ont compris que
la F1 n’était plus abordable et qui, après s’être cassé les dents et
vidé le porte-monnaie en F3 et en F2, se tournent vers ces courses de
longue haleine et son mythe, les 24 Heures du Mans.
Dans deux semaines, un an après le basketteur américain
LeBron James, c’est une autre légende du sport mondial, le footballeur
français Zinédine Zidane, qui aura l’honneur de donner le départ et de
lancer la fameuse phrase: «Ladies and gentlemen, please start your
engines!»
24 Heures du Mans 1989: doublé des Sauber C9 Mercedes-Benz, la victoire revenant à la 63 (Jochen Mass, Manuel Reuter, Stanley Dickens).
Le Mans 2024: Les constructeurs officiellement représentés