L’automatique s’impose

Vous l’avez peut-être vu, volontairement ou pas, le film «Pretty Woman», avec Julia Roberts et Richard Gere, sorti en 1990. Dans les premières minutes, on découvre un homme d’affaires complètement dépassé par une Lotus Esprit qu’il a empruntée. Ou plutôt, par sa boîte de vitesses. Comme il s’est perdu, une prostituée vient à son secours et l’aide à retrouver son hôtel. Si l’histoire d’amour qui naît au cours du film peut paraître quelque peu irréaliste, le fait d’avoir de la peine à conduire une voiture manuelle est en revanche une réalité amère. Aujourd’hui comme hier aux États-Unis, mais aussi de plus en plus sous nos latitudes.

Depuis le 1er février 2019, il n’y a plus, sur les permis, l’inscription «automatique». Alors qu’auparavant, seule une personne ayant effectivement appris à conduire une voiture à boîte manuelle pouvait en conduire une, il suffit aujourd’hui d’avoir un permis de catégorie B en cours de validité. Les conséquences redoutées lors de la modification de la loi, à savoir une augmentation du nombre d’accidents de la route impliquant de jeunes conducteurs, ne se sont apparemment pas produites. Mais ce à quoi peu de gens s’attendaient dans une telle mesure, c’est le rejet désormais très élevé des boîtes manuelles.

La boîte automatique domine

Si les jeunes n’apprennent pas à changer les vitesses en apprenant à conduire, ils ne le feront pas après l’obtention de leur permis. Pas tous, bien sûr, mais la grande majorité. «J’aurais pu fermer mon école», souligne par exemple Jeannette Groff, de Winterthur (ZH). Elle est monitrice de conduite depuis des dizaines d’années et, jusqu’à récemment, elle dispensait ses leçons depuis le siège passager d’une Renault Mégane, à boîte manuelle bien sûr. «Mais de plus en plus de nouveaux élèves ne souhaitaient rouler qu’en automatique et sont par conséquent allés voir ailleurs parce que je ne pouvais pas leur proposer cela», dit-elle avec désillusion. Elle n’a donc pas eu d’autre choix que de passer à l’automatique pour conserver sa clientèle. Un cas isolé? Pas du tout! Une demande auprès des services cantonaux des automobiles confirme cette tendance: «En 2023, nous avons fait passer environ 23 000 examens de conduite dans la catégorie B, la grande majorité de ces examens se sont déroulés avec des voitures à transmission automatique ou électrique», déclare Severin Toberer, responsable de la communication au Service des automobiles du canton de Zurich. Il ne peut pas donner de chiffres plus précis, car il n’y a pas de statistiques sur ce point. C’est compréhensible, car cela ne joue plus aucun rôle pour le permis de conduire.

Seul le canton de Neuchâtel dispose de données exactes. Et elles attirent l’attention: en 2019, la première année de la nouvelle réglementation, 47 % des examens étaient déjà en «automatique». Depuis, la proportion a progressivement augmenté pour atteindre 86,1 % en 2023. D’autres cantons donnent au moins des valeurs indicatives: Saint-Gall estime que la part des examens avec des voitures automatiques se situe entre 90 et 95 %, les Grisons ne comptaient que 2 % d’examens automatiques jusqu’à la nouvelle réglementation, contre environ 95 % aujourd’hui. Même son de cloche dans le canton de Fribourg: en 2018 et 2019, 3 % de tous les examens étaient en automatique, en 2020 ils ont atteint 60 % (80 % actuellement).

Taux de réussite peu concerné

Il existe cependant une statistique obligatoire, valable pour toute la Suisse et elle concerne le taux de réussite. Selon les évaluations de l’ASA, l’Association des services des automobiles, entre 2019 et 2022, 66 à 67 % des candidats en Suisse et dans la Principauté du Liechtenstein ont réussi l’examen pratique pour la catégorie B. L’ASA ne précise pas en combien de tentatives. Mais un coup d’œil sur les chiffres de l’association jusqu’en 2005 le montre: le taux de réussite était très similaire avant la nouvelle réglementation. Environ deux tiers des élèves obtenaient leur permis. Ce changement d’habitude ne semble donc pas avoir eu d’impact majeur sur les compétences des nouveaux conducteurs, ni dans un sens, ni dans l’autre. Sauf, bien sûr, si l’on considère la capacité fondamentale à savoir changer les vitesses comme critère de qualité.

Du point de vue des moniteurs d’auto-école, il serait sans aucun doute préférable que chaque conducteur débutant soit en mesure de conduire une voiture à boîte manuelle, même s’il a passé l’examen sur une voiture automatique ou électrique. «Je demanderais que, jusqu’à nouvel ordre, les nouveaux conducteurs doivent dans tous les cas effectuer au moins quatre leçons de conduite avec une voiture à boîte manuelle avant leur examen. Cela permettrait de resserrer les règles, notamment autour de ceux qui se surestiment dès le début au volant. C’est un problème important dans la circulation routière», estime Michael Gehrken. Il préside L-Drive Suisse, l’organisation faîtière de la formation professionnelle des moniteurs d’auto-école. Il se félicite toutefois que la majorité des jeunes conducteurs soient tout à fait conscients de leurs responsabilités et se forment avec la boîte manuelle. Comme d’autres, Duschko Jaramaz, propriétaire de l’auto-école Moove GmbH à Bülach (ZH), propose des leçons de conduite avec commutateur supplémentaire. Son entreprise possède des véhicules de ce type dans sa flotte, mais la commande manuelle est toujours très utilisée, et même exclusivement par certains élèves.

Perfectionnement après le permis

Bien sûr, le nombre de personnes qui souhaitent apprendre à conduire une voiture avec une boîte de vitesses manuelle est beaucoup plus faible qu’il y a quelques années. Cependant, 15 % des élèves se décident encore pour une manuelle, de leur propre chef. Avant la première leçon de conduite, Douchko Jaramaz envoie toujours un message à son nouvel élève pour savoir, entre autres, s’il préfère une boîte manuelle ou automatique. Pour les aficionados du changement de vitesses, il a acheté une VW Golf 8. Aux autres, il propose une VW ID.5 électrique. Lorsque le choix de l’élève se porte sur la Golf, Douchko Jaramaz prévoit toujours quelques leçons supplémentaires, afin de travailler la coordination entre la pédale d’embrayage et le levier de vitesses. A noter que le moniteur propose systématiquement à ceux qui ont obtenu leur permis sur une automatique de revenir plus tard afin d’apprendre à changer de vitesses manuellement.

«Les conducteurs débutants ne sont pas les seuls à profiter de cette offre, nous recevons aussi régulièrement des demandes de clients qui ont un permis de conduire depuis longtemps, mais qui n’ont pas conduit de boîte manuelle depuis un bail», explique-t-il. Duschko Jaramaz a le grand avantage de pouvoir offrir, avec quatre autres moniteurs de son école, non seulement le choix entre une voiture manuelle et une voiture automatique, mais aussi de couvrir toutes les catégories, qu’il s’agisse de deux ou quatre roues, de véhicules légers ou lourds, sur la route ou sur l’eau.

Les moniteurs d’auto-école indépendants ne peuvent généralement pas proposer autant. Et ils n’ont souvent qu’une seule voiture. Comme Jeannette Groff, de Winterthour, qui n’a pas aimé lâcher la boîte manuelle. «Pour moi, ce n’est plus vraiment de la conduite automobile.», dit-elle à regret. Mais elle n’avait plus le choix, comme bien d’autres de ses collègues. Et ceux qui n’ont pas encore changé pour l’automatique devront le faire bientôt.