Expansion La Formule 1 veut se développer pour arriver à 25 Grand Prix durant la saison 2025, dont un quatrième aux États-Unis. Il faudra de la diplomatie.
GP de Miami: les spectateurs américains affluent, les équipes font le show en changeant leurs couleurs, comme Racing Bulls.
La Pentecôte est toujours une semaine particulière en Formule 1: au Grand Prix d’Émilie-Romagne à Imola s’ajoute celui de ce week-end, à Monaco. Si l’on ne regarde que cette partie du calendrier de la catégorie reine du sport automobile, on pourrait croire que la F1 est au faîte de sa gloire. Les tribunes sont pleines, le sport est plus passionnant que prévu et le boom de la série ne se dément pas. Au premier trimestre, les propriétaires de la Formule 1, Liberty Media, ont engrangé 553 millions de dollars de recettes, soit 45 % de plus que l’année dernière à la même période. Les maîtres du groupe de divertissement américain en prennent bonne note, mais cela ne leur suffit pas. Ils en veulent toujours plus. C’est-à-dire de nouvelles courses hors des frontières de l’Europe. D’où la question centrale qui fait l’objet d’un vif débat dans le paddock: où la Formule 1 est-elle vraiment chez elle?
Au nombre record de 24 Grands Prix cette année, il faudra ajouter au moins une course de Championnat du Monde, même si la charge pour les écuries est déjà à la limite. Le marché semble saturé, il ne peut plus s’étendre à volonté. Voilà qui explique sans doute pourquoi la discipline tend à quitter l’Europe, comme l’illustre l’absence de circuits allemand et français, au profit des pays arabes et, bien sûr, des Etats-Unis, où la chaîne de streaming Netflix a conquis un tout nouveau public avec son succès permanent «Formula 1: Drive to survive».
Un équilibre à trouver
Il n’y a absolument rien à redire à cette nouvelle géopolitique; elle assure la pérennité du championnat. Bien sûr, l’idée d’une course en Afrique (du Sud) aurait aussi son charme, mais le fait que l’organisation de la Formule 1 estime qu’il est possible d’organiser 30 courses de Championnat du Monde par an nuirait à la fois au sport et à l’exclusivité. À première vue, les choses se passent très bien pour la F1: le sport automobile a un taux de croissance qui dépasse celui du football parmi les jeunes intéressés, et le nombre de femmes dans les tribunes augmente considérablement. Mais comme pour une voiture de course, le développement de la Formule 1 est aussi une question d’équilibre.
En ce qui concerne la saturation des courses et la perte simultanée des traditions, il existe de nombreux exemples d’avertissement dans le football et le tennis. Céder à l’appel de l’argent ou aux visiteurs des tribunes de demain serait une vision à trop court terme. La Formule 1, l’un des sports professionnels les plus élevés, ne fonctionne pas selon les lois des services de streaming. Elle a besoin d’une base saine, et cela passe avant tout par des lieux de compétition avec une tradition et un tracé attrayant. Des spectacles comme la course autour du stade de football américain de Miami ou un Grand Prix de nuit à Las Vegas sont parfaits, tant qu’ils ne sont pas trop nombreux. Bien sûr, une série qui fonctionne doit suivre, dans une certaine mesure, l’engouement qu’elle a elle-même suscité, mais elle ne doit pas abandonner tous ses principes. Les courses de sprint de plus en plus fréquentes au programme en sont un exemple, mais les avertissements des pilotes et des équipes sont balayés au profit du nombre d’entrées et de l’argent qui en découle.
Austin 2023: les fans s’y retrouvent depuis 2012. L’équipe américaine Haas célèbre sa présence avec des voitures nationales.
La Thaïlande et la Corée du Sud sont actuellement considérées comme étant les pays avec les meilleures chances d’obtenir un ticket d’entrée, Imola et Barcelone devant probablement céder leur place à leur profit. L’augmentation du nombre de courses en ville, y compris à Madrid en 2026, apporte certes un nouveau public fortuné, mais elle dénature le caractère du championnat. Le Champion du Monde Max Verstappen est le chef de file des traditionalistes. Le pilote Ferrari Carlos Sainz est lui aussi sceptique quant aux nombreuses pistes nouvelles ou temporaires: «Ce sentiment old school des circuits et l’histoire qui se cache derrière me manquent souvent. C’est pourquoi le calendrier du Championnat du Monde doit conserver les anciens sites, car ils nous rappellent tous d’où nous venons et pourquoi nous sommes tous devenus fans de ce sport.»
L’avis de Verstappen
L’Espagnol n’est évidemment pas opposé à l’idée de modifier les pistes classiques pour les rendre plus excitantes ou offrir davantage de possibilités de dépassement. Max Verstappen l’exprime de manière encore plus radicale: «Je préférerais avoir 24 anciens circuits...» L’expansion de la Formule 1, très européenne jusqu’au début des années 1990, sous l’impulsion de Bernie Ecclestone, son ancien patron, a permis à la série de devenir un véritable Championnat du Monde. Il ne fait aucun doute que le Mexique, Singapour ou encore Abou Dhabi sont des ajouts bienvenus. Mais faut-il vraiment un quatrième Grand Prix aux États-Unis? Les noms de nouveaux lieux, comme Chicago, circulent; un retour de Long Beach ou le rêve d’une course à New York sont dans l’air. C’est l’espoir d’une croissance rapide. Pourtant, le continent nord-américain est déjà bien placé: les fans trouvent leur bonheur à Montréal (CDN) et Austin (USA), ceux qui ne veulent que du spectacle se rendent à Las Vegas, Mexico et Miami, ces GP offrant un mélange de ces différents ingrédients.
Après la tentative ratée d’Indianapolis (USA, de 2000 à 2007), la Formule 1 a tout de même réussi à éveiller la curiosité des spectateurs américains pour un sport automobile hautement technologique, notamment en leur permettant de côtoyer des personnalités économiques de haut rang et une foule de stars planétaires.
Des projets démesurés?
Reste une question cruciale, en lien avec l’inflation dans les pays pétroliers: a-t-on vraiment besoin de courses en Azerbaïdjan ou au Qatar, alors qu’il y a déjà Bahreïn, l’Arabie saoudite et Abou Dhabi? Pourquoi revenir à Istanbul, qui s’est avérée être un no man’s land pour le sport automobile de haut niveau sur deux et quatre roues? L’Espagne pourrait tout aussi légitimement demander une manche supplémentaire du WRC à Majorque. Lando Norris a un avis bien tranché sur la question: «Je veux des circuits qui me mettent au défi, et ce sont ceux qui ont une histoire.» En attendant, l’un de ses vœux semble se concrétiser, celui d’avoir des voitures plus sonores. Le directeur général de la Formule 1, Stefano Domenicali, en tant qu’intermédiaire entre le monde des affaires et celui du sport, attribue une grande importance à la composante sonore pour le prochain règlement sur les moteurs, à l’horizon 2030. Notamment parce qu’il figure en tête des demandes des spectateurs. Il est possible qu’à cette date, grâce aux carburants synthétiques, les moteurs hybrides actuels soient à nouveau obsolètes, ce qui entraînerait le retour du son dans le sport automobile. Ce serait plus bruyant, mais aussi moins cher. Un pas en arrière pour retrouver la vraie identité de la Formule 1?
Las Vegas 2023: pour ce GP, même les roues ont été repeintes dans un style «casino».
Quelques faits sur la F1 aux USA
– De 1950, date de l’introduction du Championnat du Monde de F1, à fin 2024, 78 manches ont été disputées aux Etats-Unis.
– Sur ces 78 manches, seules 67 sont des Grands Prix, les 500 Miles d’Indianapolis ayant été comptabilisés 11 fois dans le Championnat du Monde (1950-1960).
– Jusqu’à présent, la plupart des Grands Prix aux États-Unis ont été disputés à Watkins Glen. Entre 1961 et 1980, il y en a eu 20.
– La F1 est revenue à Indianapolis. Entre 2000 et 2007, des Grands Prix ont été organisés, mais le circuit n’empruntait que partiellement le célèbre ovale des 500 Miles.
– De 1976 à 1984, deux GP ont été organisés chaque année aux États-Unis, généralement intitulés USA-Ouest et USA-Est. Les GP ont eu lieu à Watkins Glen, Long Beach, Détroit, Las Vegas et Dallas. Auxquels se sont ajoutés plus tard le GP de Las Vegas et le GP de Miami.
– En 2022, les États-Unis ont de nouveau accueilli deux GP (Austin, Miami), voire trois depuis 2023 (Austin, Miami, Las Vegas). Max Verstappen et Lewis Hamilton ont remporté le plus grand nombre de GP sur le sol américain (6 chacun), suivis de près par Michael Schumacher et Ayrton Senna (5 chacun).
– Clay Regazzoni a été le seul Suisse à remporter un GP aux Etats-Unis, c’était en 1976, à Long Beach avec Ferrari.