Avis de tempête sur les voitures électriques

Simon Tottoli | 30.11.2023

Marché Le boom des voitures électriques en Suisse devrait marquer une pause en 2024. En cause: l’augmentation des prix et une 
infrastructure de recharge insuffisante.

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Principal argument contre l’achat d’une voiture électrique: le réseau clairsemé de bornes de recharge publiques mises à disposition.

À l’heure actuelle, les voitures électriques à batterie et les hybrides rechargeables sont toujours les plus demandées. Les BEV entièrement électriques représentent aujourd’hui environ 20 % de toutes les voitures de tourisme neuves immatriculées chaque année. C’est 2,2 % de plus qu’en 2022. De leurs côtés, les hybrides rechargeables (PHEV) ont également progressé légèrement par rapport à l’année précédente, passant de 8,1 à 9,0 %. Mais en 2021, les PHEV représentaient déjà 9,1 % du marché, ce qui indique plutôt une stagnation. Quant aux ventes de BEV, elles devraient également ralentir. Eh oui, cela peut sembler étrange et pourtant, c’est bien ce qu’il se dit dans la branche. Explications.

Depuis 2019, la part de BEV au sein des nouvelles immatriculations mensuelles a été multipliée par cinq: de 4,2 % il y a quatre ans, elle est passée à 8,2 % fin 2020, à 13,8 % en 2021, à 17,8 % en 2022 et elle sera vraisemblablement d’une vingtaine de pourcents en 2023. L’Association des importateurs Auto-Suisse est certes satisfaite de cette évolution, mais elle prévoit à présent un net ralentissement de la croissance, en lien bien sûr avec le ralentissement de l’économie: les clients repoussent en effet l’achat de voitures électriques à des jours meilleurs. Et l’augmentation (en moyenne de 18 %) du prix de l’électricité en 2024 ne devrait pas non plus aider, estime Auto-Suisse. Autre point noir: dès 2024, les voitures électriques seront soumises à l’impôt sur les véhicules automobiles, ce qui signifie qu’à l’importation, 4 % de la valeur du véhicule seront dus.

Flagrante contradiction

D’un point de vue objectif, cette égalité de traitement avec les véhicules thermiques n’est que justice, mais elle est loin d’être compatible avec les objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2 de la Confédération. Disons-le clairement, c’est même en totale contradiction avec ceux-ci. Selon Auto-Suisse, il serait très important de ne pas détériorer davantage les conditions-cadres, d’autant plus que l’infrastructure de recharge n’est pas si mauvaise en comparaison européenne, même si elle est encore loin d’être optimale.

Selon l’indice d’e-mobilité du service de géodonnées en ligne «Here Technologies» et du réseau de chercheurs «SBD Automotive», la Suisse occupe la cinquième place derrière la Norvège, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Allemagne. Mais les apparences sont trompeuses: les besoins actuels demanderaient une borne de recharge publique pour 10 voitures branchés, alors que le rapport est aujourd’hui d’une borne pour 19 véhicules. Si l’on ne prend en compte que les véhicules purement électriques, la Suisse propose une borne pour 13 voitures. En considérant que même si l’on prévoit un ralentissement du boom électrique, des milliers de nouveaux véhicules branchés arriveront chaque mois sur les routes, il est donc très improbable que l’on se rapproche du rapport idéal. À titre de comparaison, pour les véhicules à combustion, le rapport pour un approvisionnement optimal est d’une pompe pour 1000 véhicules, selon le groupement d’intérêt des importateurs de carburants liquides, Avenergy Suisse. «Mais pour les presque 4,8 millions de voitures de tourisme immatriculées qui font le plein d’essence ou de Diesel, le rapport est même de 1 à 400 grâce à bien plus de 3000 stations-service avec en moyenne quatre pompes», calcule Roland Bilang, directeur d’Avenergy.

Autres obstacles

Il ne faut pas non plus négliger l’énorme infrastructure nécessaire à la recharge des véhicules électriques, ni le fait que davantage de stations de recharge signifient automatiquement des temps d’attente plus longs si l’alimentation électrique n’est pas développée dans le même temps. Les personnes qui ont déjà acheté un véhicule électrique ne devraient pas être déstabilisées par de telles prévisions. Celles qui disposent en outre de leur propre station de recharge et peuvent peut-être produire elles-mêmes une partie de l’électricité nécessaire à la conduite seront de toute façon tranquilles. Mais les automobilistes susceptibles de changer de voiture pourraient se poser des questions et opter pour un modèle avec réservoir lors de leur prochain achat.

Selon Auto-Suisse et l’Office fédéral de la statistique, au 30 septembre 2023, 155 495 voitures de tourisme immatriculées étaient des voitures électriques, ce qui représente 3,3 % de l’ensemble du parc automobile. S’y ajoutent 77 477 hybrides plug-in (1,6 % du parc total). Le fait qu’il n’y ait déjà pas assez de bornes de recharge publiques pour ces véhicules branchés a un impact particulièrement important en Suisse, pays de locataires, comme le prouve également un coup d’œil sur le baromètre E 2023 du TCS publié récemment. Ainsi, seuls 36 % des propriétaires de voitures électriques ou hybrides rechargeables disposent d’une borne de recharge à usage exclusif.

Ce chiffre correspond exactement au taux de logements en propriété. Si 53 % d’entre eux disposent au moins d’un raccordement électrique exclusif, près de la moitié des propriétaires d’une voiture électrique ne trouvent pas les conditions idéales à leur domicile. Et doivent donc se contenter de recharger chez leur employeur, voire à une borne de recharge publique.

Les raisons du non

L’étude du TCS a également révélé que le manque de possibilités de recharge est la raison la plus importante pour dire non à une voiture électrique: 65 % (3 % de plus que lors de l’enquête de l’année dernière) ont indiqué qu’ils renonçaient à un achat parce qu’ils ne pouvaient pas recharger leur voiture à leur domicile. Ils sont même 67 % à déplorer le manque de bornes de recharge publiques. Ce chiffre est identique à celui de l’année dernière. Cela indique que, malgré l’augmentation constante du nombre de bornes, le réseau de recharge n’est apparemment pas assez dense pour être jugé suffisant par les acheteurs de voitures, même dans leur perception subjective.

Au cours des trois dernières années, les bornes de recharge publiques ont doublé – selon l’Office fédéral de l’énergie, elles sont passées d’environ 5000 sur 2500 sites à plus de 12 000 sur près de 6000 sites – mais c’est encore loin d’être suffisant. 

«Une politique plus stricte et moins de manœuvres perturbatrices»

Trois questions à Peter Grünenfelder, président d’Auto Suisse, qui avait repris le flambeau d’Albert Rösti après l’élection de ce dernier au Conseil fédéral.

REVUE AUTOMOBILE: Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les importateurs automobiles?
Peter Grünenfelder: Les contradictions politiques compliquent la voie vers la défossilisation à laquelle aspire l’industrie. D’une part, on exige des voitures électriques qu’elles atteignent les objectifs de CO2 que la Suisse s’est engagée à respecter au niveau international. D’autre part, le passage à la voiture électrique devient toujours plus cher, notamment avec l’extension de la taxe automobile aux véhicules électriques décidée par le Conseil fédéral. L’énorme processus de transformation vers une mobilité neutre en CO2 nécessite une politique plus stricte, pas des manœuvres perturbatrices.

Si vous aviez une demande concrète à présenter à la politique, cela serait quoi?
Qu’elle fasse suivre l’exigence de réduction des émissions de CO2 par des mesures qui accélèrent le passage à une mobilité climatiquement neutre. Cela signifie: garantir la sécurité de l’approvisionnement sur le marché libéralisé de l’électricité avec des prix bas et une infrastructure de recharge suffisante.

À partir de 2024, les voitures électriques seront soumises à une taxe d’importation de 4 %. Les acheteurs potentiels doivent-ils s’empresser d’en acheter une avant cette date?
Outre l’impôt sur les véhicules et la hausse de la TVA à partir du 1er janvier, de nombreuses promotions de diverses marques encouragent l’achat d’un véhicule avant la fin de l’année. Les offres intéressantes sont nombreuses, et pas seulement pour les voitures électriques. Interview: Simon Tottoli

Photos: David Biedert, Adobe Stock, Auto-Suisse

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