Crée en 1923, la course des 24 Heures du Mans a célébré son 101e anniversaire en 2024. Cette exceptionnelle longévité s’explique par le mythe entourant l’épreuve d’endurance. Une légende façonnée par les difficultés rencontrées par les concurrents prenant part à l’épreuve mancelle. Et cette adversité de les pousser dans leurs retranchements, les incitant à se surpasser et à développer de nouvelles technologies. C’est par exemple pour le Mans qu’ont été inventés les phares antibrouillards (1926), le moteur à injection (1952), les freins à disque (1953) ou l’hybridation (1998). «Les 24 Heures ont toujours contribué au développement de nouvelles technologies, qui ont tôt ou tard fini sous le capot des voitures de Monsieur Tout le Monde», rappelle Pierre Fillon, le Président de l’Automobile Club de l’Ouest (ACO).
Le rêve de l’hydrogène
Olivier Derard | 11.07.2024
De la piste à la route Dans son futur règlement, prévu pour 2027, Le Mans fera l’apologie de l’hydrogène, un carburant propre qui pourra non seulement être utilisé dans des piles à combustible mais aussi pour faire tourner des moteurs à combustion!
Déjà engagée en WEC, Alpine se lancera elle aussi dans la catégorie Hydrogène en 2027, avec un véhicule qui sera aussi produit en série selon les rumeurs!
Aujourd’hui, l’industrie automobile fait face à l’un des plus gros challenges de son histoire, à savoir se décarboner. C’est aussi valable pour le sport automobile: «Nous devons montrer l’exemple», martèle Pierre Fillon. Mais encore? Comment totalement décarboner le sport automobile, qui plus est lorsqu’il s’agit d’une course d’endurance aussi longue que les 24 Heures du Mans? «On a bien pensé à passer au tout électrique. Mais on s’est rapidement rendu compte que cela ne serait pas du tout possible. Personne ne voudrait d’une édition des 24H du Mans dans laquelle les voitures s’arrêteraient souvent et longtemps afin de recharger leurs accus», illustre Pierre Fillon. Qui continue: «Ce qui nous a rapidement amené à l’hydrogène. Et pour cause, une pile à combustible ne recrache que de l’eau. Quant au moteur thermique à hydrogène, il n’émet pas le moindre gramme de CO2!»
À l’horizon 2027
«C’est avec ce constat qu’en 2017, on avait imaginé notre futur règlement, qui prévoyait d’introduire l’hydrogène au Mans en 2024. Entretemps, il y a eu le Covid, ce qui a un peu contrarié nos plans et retardé l’échéance», admet le patron. Qui évoque désormais 2026, voire plus probablement 2027. Année qui correspond à la fin du règlement régissant l’actuelle classe Hypercar. L’hydrogène fera donc partie intégrante du règlement entourant les descendantes des actuelles Hypercars. Mais attention, il ne remplacera pas complètement l’essence. «L’objectif est que les voitures à hydrogène puissent concourir aux côtés des actuelles LMH et LMDh . L’idée est d’avoir une équivalence de technologie qui leur permettra de profiter des mêmes performances et de régater pour la victoire au classement général», précise Fillon.
Incontournable en Endurance, Toyota s’engagera en 2027 dans la catégorie Hydrogène de la classe Hypercar (lire en page 20).
«En 2017, lorsque nous parlions de cette technologie, nous étions un peu les seuls et donc il nous fallait convaincre, en prouvant que celle-ci avait de l’avenir», poursuit le Président. Aujourd’hui, l’hydrogène fait de plus en plus parler de lui. Et intéresse de plus en plus de monde. En incluant Toyota et Alpine, qui ont déjà manifesté officiellement leur intérêt pour ce carburant, il n’y aurait d’ailleurs pas moins de huit constructeurs impliqués au total! Mais quels sont-elles, ces six autres marques? Si le patron de l’ACO ne souhaite pas les mentionner explicitement, il explique tout de même qu’ils viennent de tout autour du globe, et qu’il s’agit de très «belles marques», précise Pierre Fillon, énigmatique. Cela n’a rien d’étonnant. Après tout, des constructeurs de voitures sportives comme Porsche ou Ferrari auraient bien tort de ne pas prendre la technologie à hydrogène au sérieux, elles qui auraient tout intérêt à conserver leurs flat-6 et V12 sous le capot de leurs 911 et Berlinette. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici. À l’instar des technologies d’antan, l’hydrogène est par la suite appelé à être commercialisé dans des véhicules de série, à condition bien sûr qu’il parvienne à faire ses preuves en course sur 24 heures. Ce n’est là aussi qu’une hypothèse mais, au rayon des constructeurs intéressés, il y a fort à parier que BMW y figure également, elle qui s’était déjà penchée sur l’hydrogène thermique au milieu des années 2000 avec l’«Hydrogen 7», un prototype basé sur une Série 7 à moteur V12. Hyundai serait également intéressé par l’Endurance, Cyril Abiteboul, président de Hyundai Motorsport et directeur de l’équipe, ayant confirmé que la marque «explorait différentes catégories» et souhaitait «exprimer clairement son ambition» en WEC, précise Abiteboul.
La pile à combustible également prônée
Comme déjà mentionné, au Mans, l’ACO ouvrira le règlement à deux technologies à hydrogène. Il y aura d’une part le moteur à combustion à hydrogène et d’autre part la pile à combustible. «Là encore, l’idée est que Le Mans conserve son statut de laboratoire automobile. Voilà pourquoi, dans ce processus de préparation de mobilité de demain, il nous semblait intéressant de permettre aux constructeurs d’accéder aux deux technologies», commente Pierre Fillon. Si l’on sait déjà qu’Alpine et Toyota ont tous deux jeté leur dévolu sur le moteur thermique – ce qui est de bon augure pour l’ambiance sonore du Mans des prochaines années. On ne sait pas encore qui parmi les autres constructeurs intéressés optera pour la pile à combustible. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que ces constructeurs feront face aux mêmes défis que l’ACO, qui a eu recours à cette technologie sur ses différents démonstrateurs lancés jusqu’alors: «Deux prototypes désignés LMPH2G et H24, ont été construits jusqu’à présent, tous deux sur des bases de châssis LMP3. Le troisième prototype H24EVO sera construit sur un nouveau châssis complètement adapté à la technologie», explique Bassel Aslan, directeur technique du programme #MissionH24 de l’ACO.
Pour promouvoir l’H2, l’ACO a développé plusieurs prototypes à pile à combustible: la LMPH2G de 2018 (en haut à g.), la H24 de 2021 (en bas à g.) et la H24EVO à venir (à dr.).
Ces voitures fonctionnent selon le même principe: «Une pile à combustible puise le dihydrogène dans un réservoir pressurisé. Ce dihydrogène est transformé en électricité, qui alimente soit une batterie tampon, soit directement la machine électrique entrainant les roues», résume simplement l’ingénieur (plus de détails dans l’encadré à dr.). Dans le ptototype H24 mis au point par l’ACO, la pile à combustible est capable de délivrer jusqu’à 200 kW de puissance instantanée. Cette électricité ainsi créée peut prendre deux chemins différents, soit être envoyée directement aux roues (en cas de besoin de grande puissance), soit être stockée dans la batterie (au lever de pieds, ou dans les phases de freinage). De son côté, la batterie est quant à elle capable d’envoyer jusqu’à 350 kW supplémentaires aux roues. Ainsi combinés, la batterie tampon et la pile à combustible peuvent balancer jusqu’à 550 kW de puissance aux roues. Mais uniquement de manière brève, le facteur limitant étant la capacité de la batterie (« entre 3 et 5 kWh», selon Bassel Aslan) et la température de l’air («le refroidissement de la batterie dépend de la température de l’air ambiant et de la vitesse de la voiture», rajoute-t-il). Ainsi, dans des conditions favorables, on pourra pousser la batterie pendant 20 secondes tandis que s’il fait chaud, elle ne pourra révéler tout son potentiel que durant 5 secondes.
Encore des challenges à surmonter
L’un des principaux challenges que l’ACO doit encore résoudre concerne la sécurité de stockage de l’H2 dans la voiture. «Pour notre future prototype H24EVO, nous travaillons actuellement sur des éléments de protection permettant de mieux protéger le réservoir en cas d’accident», explique Aslan. Bien qu’un réservoir d’hydrogène ne soit pas une pièce fragile («un réservoir de dihydrogène est une pièce robuste et rigide composée d’une paroi de matériaux composites épaisses de 4 à 5 cm», décrit Aslan). En revanche, il subsiste des améliorations à apporter afin de ne pas rencontrer de problème en cas d’impact. Il est intéressant de savoir que, dans le but de surmonter ce challenge en matière de sécurité, les huit constructeurs travaillent main dans la main au sein d’un même groupe de travail. Bien sûr, tout cela devra être réalisé en prenant garde de ne pas trop augmenter le poids du réservoir: «On vise un poids de réservoir situé juste en-dessous de la centaine de kg à vide. La masse du véhicule se situera quant à elle autour de 1300 kg maximum», ajoute l’ingénieur. Un autre défi que les ingénieurs devront maîtriser avant 2027 concerne le refroidissement de la pile à combustible. Il doit faire l’objet d’optimisations afin d’être plus efficace. La pile en elle-même devra en outre être mieux intégrée dans le châssis. Il conviendra aussi de faire attention à la manière dont la masse sera répartie dans la voiture, l’architecture n’étant pas du tout la même. Et puis, il y a la manière dont le plein d’hydrogène sera réalisé dans les stands. «Lors du ravitaillement comme en course, les réservoirs sont soumis a de grandes variations de température. Il nous faudra également maîtriser ce paramètre», prévient l’expert technique.
Le programme Hydrogène du Mans imposera également la création d’une toute nouvelle chaîne de l’hydrogène qui répondra aux besoins en matière d’électricité verte, une énergie obligatoire pour quiconque souhaite produire de l’hydrogène, vert lui aussi. Dans ce processus de transformation seront également mis à contribution des sites d’électrolyse de l’eau ainsi que des entreprises de logistique permettant le transport du carburant de demain jusqu’à la station du circuit. Ainsi, les constructeurs automobiles ne seront-ils pas les seuls à devoir se dépasser. Mais, à bien y réfléchir, ce n’est pas vraiment nouveau: «Dans les années 1920, des sociétés de goudronnage étaient déjà invitées à venir démontrer le bien-fondé de leurs produits de revêtements routiers. Et c’est aussi au Mans qu’ont été développés les premiers marquages au sol», rappelle très justement Pierre Fillon. Oui, bien que les défis évoluent, l’histoire ne cesse de se répéter...
Les constructeurs et l’ACO ont encore beaucoup à apprendre d’ici à 2027, date à laquelle déboulera l’hydrogène en course.
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